Les premiers pas esquissés dans l’exposition suivraient volontiers l’air de piano qui s’y diffuse s’ils n’heurtaient pas Mesure originale du temps qui ne passe pas. Opulent sablier épuré narguant le visiteur depuis sa cage d’acier, les grains ne s’y écoulent pas. Ils engorgent au contraire le canal reliant ses deux bulbes de verre et remplissent sa partie supérieure. Pas de réversibilité possible entre les deux bulbes: d’abord la situation se répèterait dans l’autre sens, mais surtout son poids décourage et s’impose comme celui de la statue d’une grasse déité asiatique.
Le temps immobile est alors offert au visiteur pour faire l’épreuve des huit autres œuvres présentées.
Plastic Magnetic (2mn 45) est une vidéo de la solitude. Un casque audio, conque au bourdonnement sourd ponctué de tintements, permet de s’immerger dans l’écran. L’image d’une petite cuillère frétille puis s’agite frénétiquement comme oscille le halo de netteté qui la baigne. Couvert anthropomorphe, elle repose sur un support semblable à de la grise chair: petit à petit se profile l’identification du regardeur dans l’objet agité par les secousses sismiques de la folie, comme si son visage se reflétait dans le cuilleron.
Les miroirs, occupent d’ailleurs une bonne place dans l’exposition. Fête foraine du regard, ils sont tour à tour support d’impressions (Canons à électrons est un triptyque photographique contrecollé sur Dibond miroir), déformants ou découpés, altérant toujours la perception.
L’installation Je crois que j’ai marché sur la Lune est constituée d’une paire de bottes en verre — transfigurée par une lumière doucement bleue — reposant sur un miroir circulaire. Sofi Urbani évoque à son sujet plusieurs théories scientifiques dont celle des mondes parallèles. Une symétrie matérialisée par la surface de réflexion s’opère entre les souliers et leur image creusant le sol: se pencher au-dessus de l’œuvre suscite la crainte d’y sombrer, vertige face à un lieu étrangement différent de celui dans lequel le visiteur se tient.
Mais cette œuvre côtoie également l’écume des souvenirs Disney, la fragile pantoufle ou le fantasme de chaussures magiques démultipliant les possibles. Cinématographie du travail de Sofi Urbani.
La vidéo-projection intitulée Le Fond diffus cosmologique rappelle TV Buddha de Naim June Paik, mais le bruit blanc d’un écran de télévision, filmé par une caméra, remplace ici la figure du dieu, pour être projeté sur une surface hétérogène, mur et colonnes à la fois.
Avec Les Aurores cathodiques, Sofi Urbani muséifie le tube enchanteur qui jadis donnait vie aux écrans de télévision. Telle une trouvaille archéologique, un tube cathodique démagnétisé et son dispositif sont présentés dans une vitrine posée à terre.
Par mimétisme, un lien s’opère entre la forme ronde de l’appareil et la projection en tondo, qui présente les images issues de sa modification. Il existe une analogie plastique et scientifique entre les aurores boréales et les tubes cathodiques, mais ceux qui ne maîtrisent ni les unes, ni les autres peuvent néanmoins apprécier les ondulations hypnotiques générées par l’appareil. Ces images qui monopolisent l’attention conduisent à penser que ce ne sont pas les programmes diffusés mais bien ce tube-sorcier du petit écran qui ont tenu tant de téléspectateurs en haleine. Mais la fascination est de courte durée car elle est saccadée par les extinctions. Si bien que le visiteur est ramené à ses esprits
L’installation Alan Smithee avance masquée en montrant son masque. Le dysfonctionnant écriteau «Motel» marque le seuil de la pièce qu’occupe entièrement l’œuvre. Une fois ce dernier franchi, le visiteur pénètre dans un déstabilisant univers binaire, formidable et désenchanteur.
Présence d’un piano, source supposée de l’air audible depuis le reste de l’exposition, mais le son provient en réalité d’un haut-parleur dissimulé. Installé au centre de la salle et monté sur roue, l’engin à queue affiche un hiératisme mobile et menace de glisser à tout moment, comme glisse l’implication du visiteur dans la fiction de l’œuvre à mesure que son regard glisse sur son environnement.
Cinq vidéos constituant ensemble un film noir à la trame indénouable sont montrées au sein du décor ayant servi à leur tournage.
Ces vidéos sont le fruit du travail de cinq monteurs ayant disposé des mêmes rushes. Sans intrigue, les images en mouvement laissent place à l’expression crue et insupportable de la terreur d’un homme, Alan Smithee, lové dans une crise ou gravitent les codes cinématographiques de la monstrueuse solitude: du slip impudique à l’arme de poing, baignée de bourbon. Le suicide gronde.
Quatre photographies de tournage sur l’un des murs de la salle précisent cette ambiance que le visiteur enjambe en y trébuchant sans cesse. Le nom de l’exposition prend alors son sens, Alan Smithee, Sofi Urbani peut-être, nous invite dans son cabinet à être happés par des curiosités dont l’aura est agréablement dévoilée par un désir de compréhension pragmatique.