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Le Butô et le Théâtre pauvre

L’exposition, modeste mais assez pointue, conçue par les dynamiques commissaires Sylwia Serafinowicz et Nayo Higashide, célèbre, d’une certaine manière, consciemment ou non, mai 68. Cette année-là, comme dirait Claude François, la révolte étudiante, en France, du moins, était partie — faut-il le rappeler ? — de l’Affaire Langlois mais, surtout, d’une histoire à dormir debout, d’un problème tout bête d’accès des garçons aux chambres des filles dans la résidence universitaire de Nanterre. Cette année-là, est-ce un hasard ?, Hijikata Tatsumi intitulait l’une de ses pièces Rébellion de la chair. Grotowski insistait quant à lui sur le travail corporel de l’acteur, le matériau premier sur lequel le metteur en scène devait se focaliser. Les deux auteurs ont en commun une réflexion sur la notion d’archétype ainsi qu’un goût réel et profond pour ce qui relève du grotesque. C’est ce qui ressort des photographies accrochées aux murs de la galerie et des films qui y sont montrés sur moniteurs, écrans LCD ou au moyen d’un vidéo-projecteur.

Bien qu’Hijikata et Grotowski ne se soient jamais rencontrés, bien que la distance entre les deux continents et la disparité entre les deux cultures les opposent de prime abord, les photos et les documents filmiques montrent qu’ils ont des préoccupations artistiques, philosophiques et politiques pas si éloignées que cela. Il y a l’« air du temps » : ces idées qui communiquent à la vitesse de la lumière à une époque où l’internet n’était même pas imaginé. Inspiré par Stanislavski et Meyerhold, Grotowski rejoint les préoccupations des animateurs du Living Theater. Plus néo-dadaïste, selon nous, qu’expressionniste — ce, malgré l’influence des disciples de Wigman sur l’autre grande figure du butô, Kazuo Onô —, Hijikata, après avoir « avalé » tout crus le kabuki et le nô, propose une synthèse assez singulière entre diverses branches du théâtre et de la danse de son temps.

Les films permettent d’avoir une idée précise des travaux de ces deux formidables réformateurs de l’art de la scène. Jean-Marie Drot (réalisateur pour feue l’ORTF et ex-directeur de la Villa Médicis !) conçoit en 1967 une émission intitulée Grotowski ou… Socrate est-il polonais ? En 1975, John Musilly produit pour CBS un document assez rare : The Body Speaks. Enfin, last but not least, Grotowski signe lui-même un film qui date de 1966, Le Prince Constant, où il détaille le jeu des acteurs en plans très rapprochés. Pour ce qui est du butô, le réalisateur Eikoh Hosoe a confié gracieusement à Miss Higashide une belle copie de son film néo-surréaliste, Nombril et la bombe atomique (Heso to Genbaku), qui date de 1960. La pièce Nikutai no hanran ou La Rébellion de la chair a été filmée par Hiroshi Nakamura lors de sa création. Malheureusement, on n’a pas, pour le moment du moins, accès au film mythique Gisei, réalisé en 1959, en 8mm, par Donald Richie. En revanche, les organisatrices projettent les bandes du pionnier du cinéma expérimental japonais, Taka Iimura : Anma (Le Masseur, 1963) et Bara-iro Dansu (Danse en rose, 1965), chorégraphiés par Hijikata.

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