Stéphane Blanquet
Le Boyau noir
Le Wharf, Centre d’art contemporain de Basse-Normandie et la Comédie de Caen, Centre Dramatique National de Normandie s’associent pour la présentation du travail pictural de Stéphane Blanquet.
Le projet qui réunit ces deux institutions pour cette exposition s’attache davantage à présenter l’œuvre la plus «obscure» de Stéphane Blanquet qui se déploiera dans une scénographie spécifique pour la mise en espace de son univers. Comme tout artiste à l’univers «marqué», sa singularité graphique est reconnaissable parmi les productions des vingt dernières années, comme celle qui s’imprime dans nos mémoires pour ne plus la quitter.
Dans une scénographie théâtralisée, ses dessins surdimensionnés entre rêves et cauchemars prendront corps sur les murs telles des réminiscences fantomatiques de nos propres hantises. Ses personnages, aux allures parfois joyeuses souvent inquiétantes, se distordent dans un déploiement de noir et blanc où la graphie remplit l’espace de la toile comme pour mieux enfermer le regard sans aucune échappée possible.
Ici l’univers est clos, le lieu est refermé par le déploiement même du dessin qui obstrue toute vacuité de blanc. La claustrophobie provoquée par le plein d’images oblige une observation attentive de l’ensemble de la composition et d’être au plus près, là où se niche le détail sardonique, le pathétique.
L’œuvre tout entière de ce créateur trouve sa genèse dans la peinture, le cinéma, la musique et le son et dont la génération à laquelle il appartient s’est nourrie. Depuis les références classiques de la peinture en passant par les productions de bandes dessinées et d’œuvres graphiques alternatives, c’est tout un atlas personnel qu’il a constitué au cours de ces années.
Depuis sa caverne, comme celle de Platon, Blanquet voit et projette sur le papier — cette paroi horizontale — les ombres errantes et nocturnes qui surgissent. La survivance de ses fantômes, ritualisée par le noir et blanc, construit par hybridité une communauté spectrale d’individus avec lesquels nous engageons un dialogue, comme si ces figures ne nous étaient pas si étrangères. Ici, le déployé pariétal de Blanquet aspire le spectateur dans un monde où la frayeur prend des physionomies «familières».
La torpeur guette chaque jour notre rencontre finale avec Eros et Thanatos. Ils sont dans l’œuvre de cet artiste, envahi par des insectes obscurs et chimériques, des petits éléphants aux sourires moqueurs, des plantes aux bulbes distendus qui laissent couler un liquide que l’on perçoit comme séminal, des glands gonflés d’arrogance, des coupoles fécondatrices, des vulves ouvertes comme des fleurs ecchymosées. Les corps représentés sont fréquemment enserrés par des lianes turgescentes et vénéneuses qui entravent leur mobilité.
Terrifiantes images direz-vous? Le sont-elles plus que les œuvres peintes par ses collègues et ses pairs qui hantent nos livres et nos musées? Les peuples d’images de Stéphane Blanquet sont des parents du Portement de croix de Bosch, et du Sorcier ou La Carcasse d’Agostini Veneziano! Le Jugement dernier, de Giotto dans la Chapelle des Scrovegni vous semble moins effroyable que La Tentation de Saint-Antoine de Martin Shongauer? L’œuvre — Les Proverbes: Étrange folie de Francisco Goya — vous apparaît plus douce, plus délicieuse? Les peuples peints de Blanquet, n’ont pas comme modèles les figures d’Adam et Eve peintes par Lucas Cranach l’Ancien, ils sont leur ombre, leur cauchemar.