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Le Bleu est à la mode cette année

10 Sep - 05 Nov 2011
Vernissage le 09 Sep 2011

Lorsque Barthes lit «Le Bleu est à la mode cette année», il entend cette proposition comme une structure sémantique qui établit une relation d’équivalence entre un concept («La mode cette année») et une forme («le bleu»). Cet énoncé définira la relation entre l’art conceptuel et le Pop art dans les oeuvres d’Eduardo Costa et de Tobias Kaspar.

Eduardo Costa, Tobias Kaspar
Le Bleu est à la mode cette année

L’exposition «Le Bleu est à la mode cette année» emprunte son titre à l’article rédigé par Roland Barthes en 1960, publié dans la Revue Française de Sociologie. Cette note, sur la recherche des unités signifiantes dans le vêtement de mode, construite à partir de la phraséologie extraite d’un journal de mode, telle que «l’accessoire fait le printemps», nous énonce que la mode est un langage plein de détours métaphoriques, qui se prête à une méthode d’analyse linguistique.

Lorsque Barthes lit «Le Bleu est à la mode cette année», il entend cette proposition comme une structure sémantique qui établit une relation d’équivalence entre un concept («La mode cette année») et une forme («le bleu»), entre un signifié et un signifiant. Sans adopter toutes les précautions méthodologiques du sémiologue, cet énoncé sera utilisé pour définir la relation entre l’art conceptuel et le Pop art dans les oeuvres d’Eduardo Costa et de Tobias Kaspar. Les artistes jouent de toutes les combinaisons possibles entre la rhétorique d’un art conceptuel, traditionnellement lié à une forme qui déjoue les principes de visibilité de l’œuvre, et l’utilisation de symboles populaires. Ils créent des systèmes de pensée hybrides dans lesquels une couverture Air France nous renvoie à l’histoire du monochrome.

L’œuvre Sentimental Style de Tobias Kaspar se présente comme un jeu d’analogies entre une série d’images romantiques de caféiers du jardin botanique de Hambourg et une collection de motifs d’une couverture Air France. L’articulation entre les deux types d’images semble reposer sur les définitions marketing, inscrites sous l’image du tissu, de spécialités caféinées. Voici quelques hypothèses qui permettraient de lier ces éléments plutôt hétérogènes: 
a) Le café que l’ont peut éventuellement déguster dans un avion (sur une tablette suspendue au-dessus d’un plaid fourni par la compagnie aérienne) provient, à l’origine, de plants de café (tels que ceux conservés à Hambourg) 
b) La standardisation mondiale des recettes popularisées par une chaîne de coffee-shops bien connue procède de la même banalisation que les vols longs-courriers. 
L’œuvre se fonde donc sur une relation d’équivalence entre des éléments liés par des relations à inventer, et fait apparaître l’arbitraire du signe. La relation signifiant/signifié à l’œuvre dans la phrase «Le Bleu est à la mode cette année» n’est pas plus évidente que le lien supposé entre un caféier, une couverture Air France et la recette de l’espresso; ou pour le dire autrement, ce lien est tout aussi valable, puisqu’il entre dans le système de correspondances mis au point par l’artiste.

Dans le travail d’Eduardo Costa, le système d’équivalence sémiologique va jusqu’à adopter la forme de la tautologie. Les Fashion Fictions, œuvres réalisées entre 1967 et 1985 à New York, sont des photographies accompagnées de textes s’appropriant le style des magazines de mode. Parues dans Vogue et Harper’s Bazaar, avec le concours de photographes et de modèles renommés, ces interventions superposent l’œuvre et sa publicité sans qu’on puisse finalement les distinguer. L’œuvre est publicité, la publicité est œuvre, par une stratégie qui tient à la fois d’une démarche conceptuelle et d’une mise en circulation de l’œuvre à travers les mass media.

Les Peintures Volumétriques qu’il réalise depuis les années 90, apparaissent comme des tautologies en trois dimensions: le volume tient à la superposition de couches de peinture, le matériau s’approprie l’espace même de la représentation. Des objets aux morphologies uniques, que l’artiste se plaît à découper au couteau de cuisine lors de conférences-performances proches du show culinaire et de la leçon d’anatomie.

Les productions d’Eduardo Costa et Tobias Kaspar relèvent selon les mots de Barthes d’une «économie générale des apparences»: si elles semblent familières ou du moins reconnaissables pour le spectateur, elles gardent l’empreinte d’un code. Si Eduardo Costa et Tobias Kaspar créent des systèmes poétiques comme des alternatives à ce qui nous est proposé par la presse, l’histoire de l’art, l’institution, comme avec la poésie, on se retrouve face à un objet ou une image qui n’a que l’opacité qu’on veut bien lui donner.

critique

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