La galerie Schleicher+Lange accueille une nouvelle proposition de l’artiste pragois Kristof Kintera (1973, Prague, République Tchèque): «Lay down and shine». La démarche de l’artiste est souvent de transformer des objets familiers en sculpture, en les faisant subir de substantielles transformations. Grâce à celles-ci, et comme chez Charles Ray, Robert Gober ou Maurizio Cattelan, le quotidien traduit subitement le pulsionnel.
Sans avoir recours à des figures historiques puissantes ou des leitmotivs comme le font parfois les artistes cités, Kristof Kintera choisit, quant à lui, des éléments plus anodins. Bicyclettes, poussettes, sacs en plastique, aspirateurs, sacs de couchage sont autant d’objets utilisés, extraits directement du quotidien habituel d’un consommateur. L’artiste détourne leur usage, les modifie en y apportant des micro-fictions, des usages absurdes, et les érige en oeuvre d’art.
Sa proposition actuelle reprend le vocabulaire d’une urbanité organisée: il a récupéré un lampadaire et des barrières mobiles de sécurité pour ses nouvelles oeuvres. Il met en place un environnement devant se constituer pour les masses. La barrière vise autant empêcher un flux de manifestants que contenir la file d’attente d’un concert de rock. Le lampadaire illumine tout le monde sans distinction et n’est pas ici sans rappeler une oeuvre antérieure de Kristof Kintera, ce chandelier surdimensionné, constitué de lampadaires pragois (mis de côté par la mairie parce qu’ils ont été remplacés par un modèle plus moderne) qui s’intitulait My light is my light, 2008 (Ma lumière est ta lumière, 2008).
Il va sans dire que l’artiste y a apporté des altérations qui détournent ou discutent la fonctionnalité de ces objets urbains. Dans l’oeuvre Lay down and shine, le lampadaire est coupé pour pouvoir entrer dans la salle. La logique de faire contenir quelque chose a été valorisée au détriment de l’objet que l’on contient. Inutilisé comme tel, le lampadaire, témoin d’un temps révolu de la ville de Prague, illumine un intérieur, aveuglant presque le spectateur. Comme un monstre triste, cette oeuvre manifeste l’irréalisme de certaines mesures collectives.
Dans la première salle, des barrières mobiles de sécurité (Paradise Now, 2009) sont affublées de bois comme ceux d’un cerf. On s’attend à ce qu’elles sautent gracieusement, comme l’animal en question, au moindre bruit. Tandis que l’objet est habituellement utilisé pour contenir le mouvement de la foule, il est ici en danger imminent de fuite. On songe aux panneaux de signalisation routière lorsqu’ils nous avertissent de l’éventuelle apparition de cerfs que l’on ne voit jamais. Ici les barrières rappellent une foule absente, contenue, surveillée, organisée, remplacée par un animal sauvage qui brave inconsciemment les dangers routiers, en toute liberté. Le thème du danger, de la sécurité et de la liberté est sans cesse traité dans l’oeuvre de Kristof Kintera, dans laquelle un rire décontracté cède peu à peu le pas à une vraie réflexion sur les mécanismes grégaires d’organisation sociale.
critique
Lay down and shine