ART

L’Autore Sconosciuto (L’Auteur inconnu – The Unknown Artist)

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

Les œuvres de Giulio Paolini présentées à la galerie Yvon Lambert ne constituent pas à proprement parler une exposition au sens habituel. Davantage conçue comme les fragments d’un ensemble mis en place dans quatre galeries différentes (Yvon Lambert et Marian Goodman à Paris et à New-York), elles s’inscrivent dans une démarche qui remet en question le statut de l’artiste et l’acte créateur.

Giulio Paolini revêt pour l’occasion le rôle de commissaire d’exp osition anonyme. Il résume sa démarche en dernière page d’un livret intilué L’Auteur inconnu, Art happens, dans les termes suivants: «Chacune des seize œuvres dans les quatre différents espaces est à son tour associée au contexte de quinze carrés dessinés sur le mur, correspondant aux quinze autres œuvres qui composent le projet. Chaque œuvre se configure ainsi chaque fois comme une unité se référant à l’ensemble dont elle fait partie (ou même plus généralement, à l’extension ad infinitum d’autres œuvres, éventuelles ou présumées). Le système que j’ai essayé de décrire (une œuvre sans corps, une pure abstraction du nombre) s’intitule précisément Novero (Nombre) et montre l’itinéraire qui nous conduit à travers les différents aspects et moments de la mêm e Se exposition».
Nous sommes donc invités à effectuer un parcours, à mener une réflexion sur la place de l’artiste, sur l’importance du lieu d’exposition et sur la matérialité de l’œuvre.

Le dessin qui nous fait face lorsqu’on entre dans la galerie semble, lui aussi, faire la synthèse de ce processus. La photographie d’une mine graphique découpée et collée au centre d’un carré en perspective devient axe de symétrie pour l’ensemble. L’équilibre parfait des figures géométriques qui s’inscrivent sur un quadrillage plus fin, souligne à la perfection la mise en abîme d’une combinaison qui se répète. Un point de rencontre est indiqué par ce crayon, comme le croisement de plusieurs lignes imaginaires faisant référence à bien d’autres choses.
Est-ce la place de l’artiste qui est ainsi pointée du doigt? Acteur déterminant dans la «révélation» des pr oductions exposées, il s’efface pourtant devant la présence très affirmée de l’outil qui nous indique l’endroit à observer. Est-ce une manière de nous faire comprendre que seul l’acte créateur est au centre de tout ce dispositif? Les quatre coins de ce carré évoquant alors les quatre galeries (Yvon Lambert et Marian Goodman) à Paris et à New-York qui accueillent simultanément ce projet.

Giulio Paolini cherche à faire apparaître les éléments constitutifs du tableau ainsi que les relations qui s’établissent entre l’objet, l’artiste, le regardeur et le contexte dans lequel il observe l’œuvre. Dans la première salle, sur le mur de gauche, quatre cadres noirs juxtaposés découpent et reconstituent l’image d’un livre ouvert sur une table. Les pages sont blanches mais des morceaux de papiers s’échappent de l’ouvrage. Fragments de photographies de documents manuscrits ils donnent plus de réalisme aux traits incisifs et très épurés de l’ensemble. Résonance avec les propos de l’auteur: «Je voudrais pouvoir écrire un livre qui ne serait qu’un incipit, qui garderait pendant toute sa durée les potentialités du début, une attente encore sans objet». Grâce à cette «fenêtre» ouverte, nous sommes face à la table et à l’univers de l’artiste. Il nous dévoile les clefs de son œuvre. La galerie se constitue alors comme un ailleurs, le reste du monde depuis lequel nous observons la genèse de l’acte, en même temps que le fruit de ce travail qui finit par échapper au créateur.

Même thème, point de vue identique, mouvement simulé de recul: l’illusion est parfaite, les cadres se démultiplient et l’espace s’étire. Le livre refermé est posé à la verticale. Des feuillets s’éparpillent à nouveau mais les écritures ont laissé la place à des entrelacs de lignes plus ou moins épaisses. Le dynamisme et la vivacité du graphisme font écho au mouvement des pages qui s’envolent pour se répandre sur les murs de la galerie. Ab sence de limite: «L’œuvre est le lieu où la réalité et l’illusion se trouvent confondues, où l’imaginaire et l’intellect poursuivent la même instance» (Giulio Paolini).

Mosaïque: la grande verrière laisse se déployer trois autres œuvres. Les cadres dorés et les toiles aux châssis apparents se font face. Ils se propagent et leurs contours parfois dessinés à même la paroi semblent percer la chair architecturale pour disparaître et imprégner le lieu. Face à nous, douze «caissons» translucides de couleur bleu et vert d’eau enferment un paysage. Une route jalonnée de colonnes s’enfonce dans des profondeurs inconnues. Une découpe ovale laisse apparaître le mur blanc et plus nettement une partie du dessin. Cette ellipse spatio-temporelle s’ouvre sur les corps éclatés des personnages du Radeau de la Méduse. Les reproductions des hommes de Géricault perdus en mer après leur naufrage et réutilisées ici à d’autres fin, confirment l’intention de Paolini: faire vivre une œuvre et lui donner un autre visage indépendamment de l’intention première du créateur.

Le protagoniste central de cette toile, qui cherchait jadis à attirer l’attention du bateau navigant au loin, est transposé dans u n nouvel environnement. Le geste devient tout autre. S’accroche-t-il désespérément au bas du chemin qui s’éloigne ou cherche-t-il à élargir l’ouverture opérée par l’artiste au centre de la composition? Désir de nous montrer la voie: il nous faut poursuivre le parcours commencé au delà des murs de la galerie et garder en mémoire que ce projet existe en d’autres lieux, au même moment. Il se déploie à l’infini détaché de la main de son créateur pour devenir une entité autonome et acquérir une identité propre.
Ainsi, en évoquant pour cette «exposition» le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, Giulio Paolini met en exergue l’idée qu’une œuvre n’est pas d’un auteur mais qu’elle préexiste à son intervention. C’est l’œuvre qui conduit la main du peintre, c’est l’œuvre qui s’approprie l’auteur…

Giulio Paolini
— Finale di Partita, 2006. Installation. Dimensions variables.
— Silence, 2006. Installation. Dimensions variables.
— L’Isola dei morti, 2006. Installation. Dimensions variables.
— Album, 2006. Installation. Dimensions variables

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