Latin Lovers – De l’Arte Povera dans la collection du Frac Nord-Pas de Calais

Carla Accardi, Giovanni Anselmo, Alighiero E Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Piero Gilardi, Jannis Kounellis, Mario Merz, Giulio Paolini, Michelangelo Pistoletto, Gilberto Zorio
Latin Lovers – De l’Arte Povera dans la collection du Frac Nord-Pas de Calais (Hommage à Jean Hoet)

Jan Hoet, le directeur du Musée d’Art Contemporain de Gand (SMAK) — décédé fin février 2014 — fut l’un des premiers experts externes à œuvrer pour la constitution d’une collection d’art contemporain pour le Frac Nord-Pas de Calais. Il a su sélectionner des œuvres importantes d’artistes dont la réputation n’est aujourd’hui plus à faire (des américains Warhol, Nauman, Flavin, Judd, et allemands Beuys, Richter, Bernd & Hilla Becher, Isa Genzken notamment). Grâce à lui le Frac possède également un ensemble exceptionnel d’œuvres de l’Arte Povera.

Ce mouvement — ou plutôt ce collectif partageant une même «attitude» — né dans les années 1960 en Italie, a marqué l’histoire de l’art contemporain dans toute l’Europe. Il a été lancé par un groupe d’artistes qui s’intéressaient à des thématiques telles l’écologie, la révolution sociale, l’alternative politique ou encore tout simplement la vie. Leurs créations se caractérisent par l’utilisation d’éléments naturels (pierres, feu, liquides, etc.) et «pauvres» (chiffons, bouts de corde, etc.). Reconnus par la sphère artistique grâce au critique Germano Celant, leur renommée atteint le zénith avec l’exposition d’Harald Szeeman, «When attitudes become form», présentée à la Kunsthalle de Bern en 1969. Plusieurs figures aujourd’hui emblématiques du mouvement y ont été présentées, parmi lesquelles l’artiste Michelangelo Pistoletto.

Pour «Latin Lovers», le Frac présente deux pièces de ce créateur polyfacétique: une installation, composée d’une ligne de lampes (Quatro di fili elettrici, 1967) et une sculpture composée de chiffons (Muro di stracci, 1968). D’autres artistes, tout aussi importants sont également au rendez-vous, comme Alighiero e Boeti, dont le travail est toujours réalisé en collaboration avec des artisans d’autres cultures. C’est le cas ici dans l’alphabet personnalisé des collections du Frac (Mettere al mondo il mondo, 1972-1976), alphabet inspiré de motifs utilisés au Moyen Orient. Giovanni Anselmo quant à lui crée des environnements avec une grammaire plus complexe, composés de la juxtaposition de dessins et des matériaux divers. La collection d’Arte Povera du Frac n’est pas en reste. C’est avec des artistes comme Mario Merz qui filtre des objets et parties d’animaux qu’il trouve dans des forêts pour ensuite les mélanger avec des néons ou des peintures et dessins que la matière laisse entrevoir son état sauvage. La relation à la matière brute est en effet une composante essentielle de l’art de ces «Latin Lovers».

Parmi les 17 œuvres exposées, il est impossible de passer à côté de la force pure que renferment les sculptures de Giulio Paolini ou de Luciano Fabro, dont l’œuvre au titre poétique prête son nom à cette exposition. D’autres encore, retravaillent à partir de la matière pour en faire des objets décoratifs et de design dont le paravent de Carla Accardi, les vases et amphores en marbre extrêmement sophistiquées d’Ettore Spalletti, ou le mobilier de Piero Gilardi reconstruisant artificiellement des fragments de la nature — des rochers servant de siège, des branchages en tapis, etc.

Le sens qui émane de ces œuvres court au-delà de l’objet tel qu’il nous apparait. Les éléments de l’étant tel qu’ils apparaissaient chez les présocratiques sont mis à l’épreuve. Jannis Kounelis et son obsession pour le feu le montrent bien. Les constructions de cet artiste d’origine grecque, souvent complexes à installer dans l’espace public, représentent un véritable challenge et une menace potentielle pour les spectateurs. Les installations de Pier Paolo Calzolari, utilisant draps, tapis et bouts de métal, laissent entrevoir une transformation vers un nouvel état de la matière. Sans parler de l’écho aux éléments alchimiques auquel renvoient les œuvres de Gilberto Zorio qui pourraient, selon l’artiste: «être capable de produire une altération des processus naturels ou agiraient comme des métaphores pour l’action révolutionnaire humaine».

Si l’œuvre n’est pas sujet d’esthétique, elle s’avère cependant révélatrice d’une tendance au refus. La non-identification des formes, des sujets, intervient alors ici comme une tentative de résistance, un appel à voir le geste artistique même non plus comme moyen mais comme une fin en soi.

Commissariat
Hilde Teerlinck