Lasse Schmidt Hansen
Les nouvelles pièces de Lasse Schmidt Hansen sont, selon les mots de l’artiste, proches du néant. Les pièces apparaissent dans l’espace comme s’il elles étaient censées y disparaître. Des panneaux de contre-plaqués reposent comme un mur contre le mur. Les blocs de béton, des impressions négatives du sol de la terrasse de son studio au Danemark sont installés sur le sol, comme un autre sol. Les notes griffonnées et installées sur des parties de murs conservées dans des boîtes de plexi glass accrochées sur les murs de la galerie, ressemblent à des notes pour une pièce en devenir, mais sont présentées comme des pièces finies.
Si les nouvelles pièces de Lasse Schmidt Hansen sont minimales, elles ne sont pas minimalistes. Alors que les artistes minimalistes des années 60 pensaient à l’absolu, à l’essentiel, Lasse Schmidt Hansen est plutôt intéressé par quelque chose que nous pourrions appeler de «relativement minimal». On ne peut pas dire que son travail soit de «petite taille», car elles suivent l’échelle de la galerie selon les conventions. En revanche, on pourrait dire qu’elles sont «plus petites», car elles doublent l’espace dans lequel elles sont, mais sur une échelle plus petite. Les contre-plaqués forment un mur, mais plus petit que celui sur lesquels ils reposent — comme ses pièces en béton sont également un sol en béton, mais plus petit que celui sur lesquels ils sont posés.
Cependant le but de Lasse Schmidt Hansen n’est pas seulement d’exposer des œuvres, mais aussi de montrer l’espace dans lequel elles sont montrées. C’est aussi son expression que de montrer ce qu’est son œuvre en montrant ce qui ne l’est pas, en l’occurrence l’espace d’exposition. Ceci est évident dans l’éclairage que l’artiste a choisi dans son exposition. Il n’a pas placé les 9 spots en fonction des pièces qu’il montre. A la place, il a gardé l’installation des spots dans la position exacte que pour l’exposition précédente. Finalement, l’éclairage éclaire accidentellement certaines parties des œuvres de l’exposition.
Les nouvelles œuvres de Lasse Schmidt Hansen sont évasives. Il a fait de son mieux pour qu’elles le soient, tant et si bien, qu’elles ne sont ni «nouvelles» ni même des «œuvres» proprement dites. Cependant, s’il fallait déterminer l’objet de ce travail, il serait de savoir comment introduire de nouvelles œuvres dans le monde. Non seulement concernant les lumières du plafond mais toutes les autres pièces de l’exposition. Pour exemple, les marques sur les contre-plaqués, Other Activities, indiquent qu’ils ont été utilisés pour fabriquer une pièce plus ancienne; une petite pièce de quatre murs montrant une troisième pièce.
Cette pièce qui nous ramène à un travail précédent et à des pièces plus anciennes est ainsi difficile à appréhender dans son ensemble comme une pièce autonome. Il est difficile de déterminer où le travail de Lasse Schmidt Hansen a commencé et où il se termine. Cela ne veut pas dire qu’il échappe à la définition de l’œuvre en tant que pièce, puisque s’en éloigner est simplement devenu une autre façon de faire des œuvres d’art dans le paradigme de l’art contemporain où le minimal, l’éphémère et le performatif sont considérés comme particulièrement nobles. Cependant, ce qui rend la pièce de Lasse Schmidt Hansen, Other Activities, insaisissable en tant qu’œuvre d’art contemporaine est la façon dont Lasse Schmidt Hansen cherche ce qu’il considère comme une définition de l’œuvre d’art en général, c’est-à -dire, à la fois une activité et un produit.
Comme le suggérait la philosophe Hannah Arendt, il existe une tradition occidentale de distinction entre le nom et le verbe travail qui désignent tous deux le fait de travailler et le produit qui en découle, mais également le synonyme labeur qui lui ne désigne que l’effort.
Une Å“uvre serait donc le produit du travail. Alors que l’art peut être noble comme le travail, parce qu’il aspire à une certaine permanence qui nous survivra. Alors que ce qui résulte du labeur, comme la cuisine a été considérée avec mépris car elle ne laisse rien derrière elle, et ne sert que la simple survie et la nécessité. Mais dans Other Activities de Lasse Schmidt Hansen, toutes les marques laissées par le travail ne témoignent pas du processus de fabrication de ladite Å“uvre; de la même façon que des touches de pinceau ne constituent pas un motif quand Andy Warhol sérigraphie Mona Lisa sur une surface peinte. Cependant, contrairement à Warhol, Lasse Schmidt Hansen n’a pas ajouté d’autre travail par dessus le sien.
Other Activities n’est pas le résultat de l’acte de travailler mais plutôt la résultante de beaucoup d’effort que l’artiste a brusquement décidé de présenter comme une œuvre d’art. Les traces visibles sur Other Activities seules témoignent que l’artiste avait précédemment œuvré mais qu’il n’a pas récemment travaillé sur cette pièce. L’artiste n’a pas atteint la fin du processus de travail.
Ce que l’artiste expose ici est le fait qu’il ne s’est pas mis au travail récemment. Si ses œuvres semblent relativement délabrées et fragiles c’est qu’il détourne la notion d’éphémère, de l’effort vers quelque chose d’aussi permanent que le travail et vice-versa.
Habituellement lorsque nous observons une œuvre d’art, nous recherchons ce que l’artiste a bien pu faire. Lorsqu’on cherche à comprendre Other Activities, on peut avoir l’impression que l’artiste cherche également à savoir ce qu’il a lui-même fait. L’artiste tourne autour des choses comme le spectateur tourne autour de l’œuvre pour l’observer. Cette activité pourrait ne pas être considérée comme une activité à proprement dite, en tous cas non productive. A la place, nous pourrions appeler cela contemplation ou simplement de la pensée, ce qui serait le moins que l’on puisse attendre de Lasse Schmidt Hansen.
Comme le souligne Arendt, la pensée pourrait être considérée comme moins productive que le labeur qui ne laisse aucune trace tangible d’existence. Nous ne savons donc pas quand la pensée s’active puisqu’elle doit s’arrêter pour laisser place à sa matérialisation vers un support: «Chaque fois que le travailleur intellectuel souhaite manifester ses pensées, il doit utiliser ses mains et acquérir des compétences comme n’importe quel autre travailleur. En d’autres termes, penser et travailler sont deux activités différentes qui ne coïncident jamais tout à fait, le penseur qui veut que le monde sache le «contenu» de ses pensées doit d’abord arrêter de penser et se souvenir de ses pensées.»
Lasse Schmidt Hansen semble être exactement à ce carrefour où il doit passer de la pensée au souvenir de cette pensée. C’est bien sûr ce que ces notes et toutes les autres abordent. Cependant, les notes de Lasse Schmidt Hansen semblent être absorbée par l’acte d’écrire comme si le support matérialisait ses pensées au lieu de laisser ses pensées se concrétiser.
Sur des feuilles de papier il écrit «travail», «travail sans titre», «en train de travailler», «matériel», «quelque chose etc.». Il se répète sans cesse comme s’il n’arrivait pas à se souvenir de ce qu’il écrivait, parce qu’il n’arrive pas à s’arrêter de penser.
L’artiste conceptuel, le penseur, qui veut être le plus noble de tous les travailleurs se retrouve au niveau de l’ouvrier qui succombe à l’effort et au labeur de la tâche à accomplir. Mais ce n’est pas une tragédie, plutôt une comédie. L’écriture semble ridiculement paresseuse et sans aucun engagement réel de la part de l’artiste. Ici, il n’y a pas de ligne droite. Pas de direction. Aucun résultat final — à l’exception, bien sûr, de l’essentiel, à savoir le travail en question. Alors si cet artiste conceptuel dérangé est Lasse Schmidt Hansen lui-même, ce qui est une autre question.