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L’Art est un sport de combat

09 Avr - 18 Sep 2011
Vernissage le 09 Avr 2011

L’attention que les artistes portent au sport, dans leur vie, mais plus encore dans leur oeuvre, est à replacer dans le contexte plus général de la problématique du corps et du rapport au réel.

Jean-Yves Brélivet, Roderick Buchanan, Nicolas Chardon, Jocelyn Cottencin, Stephen Dean, Monica de Miranda, Simona Denicolai/Ivo Provoost, Aurélie Godard, Fabrice Gygi, Satch Hoyt, Zuzanna Janin, Steven Parrino, Julien Prévieux, Auguste Rodin, Alain Séchas, Yves Trémorin, Jean-Charles Hue,…
L’Art est un sport de combat

« L’Art est un sport de combat » emprunte son titre à Pierre Bourdieu et au film documentaire que Pierre Carles a consacré au sociologue: La Sociologie est un sport de combat. C’est un clin d’oeil humoristique, mais c’est également une métaphore programmatique en ce qu’elle ouvre deux perspectives d’approche, au moins.

D’une part elle souligne l’intérêt grandissant que les artistes manifestent à l’égard du sport et en particulier des sports de combat; d’autre part elle dit quelque chose de l’art lui-même, d’une conception possible de l’art. C’est sur cette double ouverture que se fonde le projet d’exposition de Calais.

L’attention que les artistes portent au sport, dans leur vie, mais plus encore dans leur oeuvre, est à replacer dans le contexte plus général de la problématique du corps et du rapport au réel.

La représentation du corps athlétique remonte à la Grèce d’Olympie qui fut comme un âge d’or de la sculpture. Rodin s’en souviendra qui fera de son Penseur, non pas un pur esprit, mais bien un athlète. Comme il fera de ses Bourgeois de Calais, moins des victimes sacrificielles que de robustes gaillards que l’âge aura dotés non seulement d’expérience et d’un sens aigu du bien commun, mais aussi d’un corps puissant, solide support de l’esprit et de la volonté.

Depuis la fin des années 1980, marquées par un regain d’attention de l’art vis-à-vis des questions sociales et politiques, plus largement de la réalité dans ses aspects les plus divers, les artistes ont puisé dans le sport une grande quantité d’images et de formes, d’attitudes et de pratiques.

Certains, comme Roderick Buchanan, ont fondé une large part de leur travail sur le questionnement des représentations sportives. D’autres comme Alain Séchas ou Monica de Miranda ont promené leurs créations du côté des salles de boxe, lieux de tension et de manifestation des soubresauts du monde.

Toutefois le sport, pour ces artistes, ne se réduit jamais à une plate iconographie, à un thème dans l’air du temps. C’est que celui-ci, par les similitudes qu’il présente avec l’art (la règle, le geste, la performance, la tension, l’affrontement, la violence, certaines formes de beauté…), en même temps qu’il le nourrit, lui sert constamment de métaphore.

Certes le sport n’est pas l’art, mais faire de l’art, c’est à bien des égards se plier à un exercice qui n’est pas sans rappeler la pratique sportive. Non que la performance sportive, le plus souvent liée à la compétition et au record, ait à voir avec ce qu’en art on appelle une performance (issue des actions et des happenings de l’époque dadaïste puis des années 1960), mais elle la rejoint dans ce qu’on pourrait appeler le performatif, c’est-àdire un énoncé qui est un acte et parfois aussi une forme.

C’est le cas quand Julien Prévieux déplace les gestes de kung fu vers l’univers du travail ou quand Aurélie Godard fait des traces de ponceuse les points d’impact d’un sac de frappe de boxe française. Les apparences que les artistes donnent à cette part de leur rapport au monde sont diverses et variées, autant que les médiums qu’ils utilisent pour les réaliser.

Ressortent cependant, et cette exposition en témoigne, la sculpture en tant que confrontation au corps, à la matière, et la vidéo comme enregistrement dynamique du mouvement et de son contexte, des récits qui s’y tissent, des paysages dans lesquels il s’inscrit.

Montrer la diversité et la complexité des liens entre l’art et le sport permet de présenter au public un aspect significatif de l’expression plastique d’aujourd’hui. C’est aussi l’occasion d’affirmer un point de vue sur l’art de ces dernières années, une conception de l’art comme sport de combat.

S’il oscille constamment entre l’auto référence et l’interrogation du monde, si sa pure autonomie est, on le sait, largement illusoire, sa spécificité, elle, ne prête guère à discussion.

En effet, si tout fait art, l’art n’est pas tout. Par exemple, l’art n’est pas la philosophie, la sociologie, l’économie, la littérature, la religion, etc. Quand il s’occupe du réel, questionne le monde, c’est avec ses moyens propres, des moyens qu’au demeurant il invente et réinvente constamment et qui ne sont ni la sociologie, ni la philosophie, ni, ni…

Cela ne l’empêche pas de poser des questions qui excèdent largement son strict champ d’application comme celle de l’affrontement. L’art évite rarement le conflit et la confrontation, avec ses propres matériaux (la toile, la feuille de papier, la plaque à graver, la pierre ou le plâtre), autant que dans le choix de ses sujets.

Les oeuvres, toujours, sont le lieu de ces tensions, éventuellement de cette violence. On le constate dans les toiles arrachées de Steven Parrino, les mobiles brisés de Nicolas Chardon, la typographie singulière de Jocelyn Cottencin ou les objets très tendus de Fabrice Gygi, toutes oeuvres qui n’ont pas de lien avec le sport et qui cependant répondent à l’injonction métaphorique du sport de combat.

On le voit évidemment dans ces combats de boxe qui engagent les artistes eux-mêmes, Zuzanna Janin par exemple, dans le choc des voitures de Stephen Dean, dans l’agressivité des chiens de la vidéo de Denicolai/Provoost. Elle surgit encore des mises en scènes photographiques de Mohamed Bourouissa dans le cadre des banlieues dites sensibles comme de l’oeil au beurre noir du cochon boxeur de Jean-Yves Brélivet, symbole du malaise paysan.

Choisir d’observer l’art sous l’angle de la tension et de l’affrontement, et plus spécifiquement à l’aune des sports de combat, c’est peut-être aussi aborder d’autres questions qui ne sont certes pas propres à l’art mais que celui-ci aborde d’une manière qui lui est propre.

Ainsi et contrairement à ce qu’affirme Joyce Carol Oates, des femmes pratiquent la boxe et des femmes artistes en particulier. Qu’est-ce que cela dit et de la boxe, et des femmes et de l’art?

Par ailleurs quand Yves Trémorin photographie les catcheurs mexicains, leurs visages et leurs masques, il montre certes un aspect de la société mexicaine actuelle, férue de lucha libre, mais, en fixant certains traits, le strabisme de tel lutteur par exemple, il inscrit ces portraits dans l’axe anthropologique du passé maya.

Quand Satch Hoyt conçoit un bouddha boxeur entièrement constitué de gants de boxe, que dit-il du corps et de l’esprit en cet autre versant du monde, et que peut produire son face à face avec le Penseur de Rodin?

Au bout du compte, de quoi s’agit-il alors sinon encore et toujours d’interroger le monde? Non pas en instrumentalisant l’art mais bien en se fondant exclusivement sur la réalité des oeuvres.

Cette position de principe correspond aussi à une conception de l’art comme engagement. Non pas un art engagé dans le sens des idéologies et dont on a pu constater les tristes conséquences dans les errements tragiques du siècle passé, non pas un art littéral et didactique, vecteur de petites idées, ou pire, de bonnes idées.

Mais un art conçu et construit par des artistes qui ne cèdent rien, qui affirment fût-ce avec humour et légèreté, cette indispensable spécificité de leur pratique, cette nécessaire tension, sans quoi il ne saurait y avoir d’oeuvre. (Jean-Marc Huitorel)

Cette exposition aura lieu du 9 avril au 18 septembre au Musée des beaux-arts de Calais et du 8 avril au 8 juin à L’École d’art du Calaisis.

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