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L’Art des bruits. Manifeste futuriste, 1913

Célèbre manifeste qui fit entrer la musique dans l’ère industrielle en intégrant les sons et les bruits produits par la société moderne — les machines notamment — dans la sphère musicale. Une révolution qu’accompagnent des expérimentations qui firent de Russolo le précurseur de la musique concrète et de ses descendantes.

— Éditeur : Allia, Paris
— Année : 2003
— Format : 10 x 17 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Pages : 39
— Langue : français
— ISBN : 2-84485-114-2
— Prix : 6,10 €

Mon cher Balilla pratella, grand musicien futuriste
par Luigi Russolo (extrait, pp. 9-12)

Le 9 mars I9I3, durant notre sanglante victoire remportée sur quatre mille passéistes au Theâtre Costanzi de Rome, nous défendions à coups de poing et de canne ta Musique futuriste, exécutée par un orchestre puissant, quand tout à coup mon esprit intuitif conçut un nouvel art que, seul, ton génie peut créer I’Art des bruits, conséquence logique de tes merveilleuses innovations.

La vie antique ne fut que silence. C’est au dix-neuvième siècle seulement, avec l’invention des machines, que naquit le bruit. Aujourd’hui le bruit domine en souverain sur la sensibilité des hommes. Durant plusieurs siècles la vie se déroula en silence, ou en sourdine. Les bruits les plus retentissants n’étaient ni intenses, ni prolongés, ni variés. En effet, la nature est normalement silencieuse, sauf les tempêtes, les ouragans, les avalanches, les cascades et quelques mouvements telluriques exceptionnels. C’est pourquoi les premiers sons que l’homme tira d’un roseau percé ou d’une corde tendue l’émerveillèrent profondément.

Les peuples primitifs attribuèrent au son une origine divine. Il fut entouré d’un respect religieux et réservé aux prêtres qui l’utilisèrent pour enrichir leurs rites d’un nouveau mystère. C’est ainsi que se forma la conception du son comme chose à part, différente et indépendante de la vie. La musique en fut le résultat, monde fantastique superposé au réel, monde inviolable et sacré. Cette atmosphère hiératique devait nécessairement ralentir le progrès de la musique, qui fut ainsi devancée par les autres arts. Les Grecs eux-mêmes, avec leur théorie musicale fixée mathématiquement par Pythagore et suivant laquelle on admettait seulement l’usage de quelques intervalles consonants ont limité le domaine de la musique et ont rendu presque impossible l’harmonie qu’ils ignoraient absolument. La musique évolua au Moyen ge avec le développement et les modifications du système grec du tétracorde. Mais on continua à considérer le son dans son déroulement à travers le temps, conception étroite qui persista longtemps et que nous retrouvons encore dans les polyphonies les plus compliquées des musiciens flamands. L’accord n’existait pas encore; le développement des différentes parties n’était pas subordonné à l’accord que ces parties pouvaient produire ensemble; la conception de ces parties n’était pas verticale, mais simplement horizontale. Le désir et la recherche de l’union simultanée des sons différents (c’est-à-dire de l’accord, son complexe) se manifestèrent graduellement : on passa de l’accord parfait assonant aux accords enrichis de quelques dissonances de passage, pour arriver aux dissonances persistantes et compliquées de la musique contemporaine.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Allia)

L’auteur
Luigi Russolo, né en 1885 à Venise, meurt en 1947. Membre du groupe futuriste, il se consacre à la peinture, avant d’entreprendre de révolutionner la musique. Il invente de nouveaux instruments qu’il nomme des intonorumori.

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