— Éditeur : Jacqueline Chambon, Nîmes
— Collection : Rayon art
— Année : 2003
— Format : 15,50 x 22,50 cm
— Illustrations : quelques, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 186
— Langue : français
— ISBN : 2-87711-251-9
— Prix : 23 €
Ouverture
par Françoise Le Penven (extrait, p. 17-18)
Le corpus écrit de l’œuvre de Duchamp oscille entre la production de manuscrits écrits dans l’instant, entre 1912 et 1923 (ou plus tôt, ou plus tard), et des aphorismes que nous avons écartés. L’exposé de la généalogie des Notes jusqu’à leur reproduction vise à témoigner du caractère méticuleux de l’entreprise et d’une rigueur héritée d’un spécialiste de la « vraie proportion des lettres » dont Geofroy Tory consigna les préceptes dans le Champfleury [Champfleury, art et science de la vraie proportion des lettres, 1529. Marcel Duchamp ayant passé son brevet d’imprimeur typographe en 1905 eut peut-être l’occasion de consulter cet ouvrage de la renaissance, bible des typographes et des artistes amoureux de la lettre].
À l’origine, ces pensées s’effeuillaient dans la marche d’un projet, celui de faire un tableau. Elles comportèrent rapidement leur propre formule : la mise en abîme d’une théorie sur le langage. L’invention d’un langage rendu adéquat constitue cette théorie.
Ce qui au départ n’était que le fruit d’une pensée en mouvement devint un matériau à part entière. Duchamp amalgama ses Notes de travail à son Å“uvre. Cette immixtion suivit un dessein dont les lignes n’allaient cesser de s’affirmer. Les Notes ne cessent de nous questionner. En souhaitant pénétrer dans l’univers artistique de Duchamp, nous sommes obligés d’accepter le poids de leurs exigences. Nul écho duchampien ne peut s’entendre sans considérer ces bouts de papier. Ils furent le réceptacle de pensées dont l’esprit de Duchamp accoucha entre 1912 et 1923: « Il y a un grand contenu imaginatif dans mes Å“uvres. La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, déborde d’imagination. Chaque élément du tableau se rapporte à une idée. Chaque fois qu’une idée me venait, je la notais sur papier, je la faisais mijoter. Comme ça pendant huit ans. Pas toute la journée, 20 minutes par-ci, 20 minutes par là . Mais huit ans quand même. Cela devait s’accompagner d’un catalogue, comme celui de la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne, avec des notices explicatives sur chaque détail; mais je ne l’ai pas fait. Huit ans c’est long, on se lasse. Il y a d’ailleurs beaucoup d’intentions non réalisées, la partie droite du Grand Verre devait comporter de nombreux éléments… » [« Entretien avec Otto Hahn », L’Express, n° 684, 23 juil. 1964, p. 22-23]
Le résultat fascine. Dans le même temps, nous sommes tenus à l’écart par un certain degré d’obscurité sémantique. Mais nous persistons. Nous sommes peu à peu obligés d’aborder les Notes dans une voie autre que celle qui nous guide lors de la lecture d’un texte classique. Leur fermeture nous cherche dans nos retranchements. Nous éprouvons une tension telle qu’elles se devraient de nous livrer leur mode d’emploi.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Jacqueline Chambon)
L’auteur
Françoise Le Penven est docteur en arts et sciences de l’art. Elle est co-auteur avec Didier Ottinger de Marcel Duchamp dans les collections du Centre Georges Pompidou — Musée national d’Art moderne (2001).