— Auteurs : sous la direction de Richard Conte : Henri Atlan, Gilles Barbier, Jacques Cohen, Claude Debru, Christian Gattinoni, Stéphane Nicot, Philippe Obliger, Isabelle Rieusset-Lemarié
— Éditeurs : Publications de la Sorbonne et Acte 91, Paris
— Collection : Arts et monde contemporain
— Année : 2002
— Format : 27 x 20 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 224
— Langue : français
— ISBN : 2-85944-469-6
— Prix : 25 €
Introduction
par Richard Conte
En visitant les expositions d’art contemporain, depuis la fin des années 1990, j’ai eu l’intuition que quelque chose était en train de changer dans les pratiques des artistes quant à leur façon de mettre le corps en œuvre. Les figures de la représentation traditionnelle, celles du miroir, du double (au sens d’Otto Rank ou des romantiques), de la série telle que l’a travaillée le pop art, et même les œuvres répétitives, tout cela semble laisser place dans les pratiques les plus novatrices à des figures de l’hybridation et du clonage. Des artistes aussi différents qu’Aziz et Cucher, Gilles Barbier, Vanessa Beecroft, Maurizio Cattelan, les Chapman, Eduardo Kac, Thomas Grünfeld, Catherine lkam, Jean-Claude Le Parc, Mona Hatoum, Gary Hill, Damien Hirst, Sherrie Levine, Philippe Parreno, Charles Ray, et tant d’autres que je ne peux mentionner, m’ont donné à penser que nous vivons un moment de déplacement du rapport à l’altérité, du rapport aux conditions de la reproduction mécanisée, avec la médiation spécifique et envahissante des écrans. Les biotechnologies associées à l’informatique semblent capillariser dans les pratiques et les œuvres d’un nombre significatif d’artistes.
Au programme de la formation doctorale et du Cérap (Centre d’études et de recherche en arts plastiques) fut initiée une ligne de recherche intitulée : « l’art contemporain au risque des écrans et des clones » et ce en 1997, date de la naissance de la fameuse Dolly.
Les étudiants d’arts plastiques de l’université Paris I ont travaillé, depuis lors, les effets que produit la perspective du clonage reproductif humain sur leur propre pratique et leur propre imaginaire. C’est-à -dire que ces étudiants — dont beaucoup font partie des artistes qu’on retrouvera dans le présent ouvrage — ne se contentent pas d’étudier théoriquement la question du clonage, ils mettent cette opération symboliquement à l’épreuve de leur pratique personnelle de plasticien. Mais comme nous sommes à l’université, cette posture de créateur se double d’une volonté de savoir. Notre hypothèse est que loin de brider l’imagination créatrice, l’information sur l’état des sciences de la nature, sur le fonctionnement du cerveau humain et sur les procédures de clonage augmenterait au contraire nos capacités d’invention en les nourrissant, en les affûtant. C’est donc sur un fond épistémologique que nos recherches sont conduites. Il fallait que tout ce travail trouvât ses lieux d’exposition et de discussion.
Le colloque « L’art de cloner » sera le point d’orgue d’une manifestation comprenant quinze expositions, regroupant vingt-neuf artistes chevronnés et étudiants doctorants, sans hiérarchisation, au choix des acteurs culturels des municipalités ou centres d’art.
Mais pour bien saisir les enjeux et la portée de ce que véhicule la question du clonage en ce moment, j’ai cru bon, avec l’accord et le soutien de nos partenaires, d’inviter non seulement les artistes mais aussi des biologistes, des philosophes et des critiques pour que nos informations soient précises, pertinentes et que la notion d’échanges interdisciplinaires ne soit pas un vain mot. Il faut dire qu’en ce qui concerne le clonage, les ouvrages et les colloques se sont multipliés, rassemblant scientifiques, juristes, anthropologues, théologiens, historiens, philosophes, j’arrête là l’énumération… mais rarement on y a convié des artistes. J’en veux pour preuve, en 1999, le Colloque des Forums sociétés au Centre Pompidou « Cloner or not cloner? » dont la dimension artistique était absente. Et pourtant nous étions à Beaubourg, dans un temple parisien de l’art contemporain.
Le sujet est-il trop grave pour concerner les artistes ? A-t-on eu peur d’une dérive fantasmagorique, d’une errance métaphorique? Nous avons pu vérifier au cours de ces deux journées que ces craintes étaient infondées.
Ce que nous avons pu constater, c’est que la perspective du clonage reproductif humain et l’apparition des produits transgéniques dus aux développements récents des biotechnologies étaient susceptibles de provoquer, chez les plasticiens, des modifications de leur imagination créatrice. Ces questions inquiètent et fascinent en laissant entrevoir de nouvelles généalogies ainsi que d’autres relations à notre propre corps.
On sait déjà tout le travail sur et autour du corps, toute la part que prend le vivant chez nombre d’artistes actuels; comment ces transformations et expérimentations dans le domaine de la biologie rejoignent-elles les grands mythes fondateurs ? Qu’en est-il du « monstrueux » ? du phénomène des jumeaux ? des mixages entre création et procréation ?
« L’art de cloner » est un titre générique et elliptique pour induire une réflexion conjointe de l’atelier et du laboratoire. Il concerne aussi le végétal — on connaît le bouturage presque depuis toujours…
Les arts et la littérature ont depuis très longtemps anticipé quelquefois sous les plus mauvais auspices (ceux d’un imaginaire anxieux, voire catastrophiste) la possibilité de manipuler le vivant. L’acte créateur n’a cessé de cultiver son rêve d’incarnation à travers des artistes — démiurges en quête de souffle vital. Et voilà , que sous nos yeux, ce qui pendant des siècles n’a été qu’un idéal vain ou une épouvantable terreur est en passe de se réaliser grâce aux avancées des biotechnologies, appelées à prévaloir pour le siècle qui s’ouvre.
Ainsi, la possibilité à terme du clonage reproductif humain reformule-t-elle la question de l’altérité. Il en découle un ensemble complexe d’interrogations d’ordre philosophique relatives aux questions de l’Autre et du Même, et cela en termes présumés nouveaux.
Quelles relations peut-on observer entre manipulations génétiques et expérimentations créatrices ? L’acte de rectifier dans la création d’artefacts est-il en train de gagner les règnes du vivant au risque d’une dérive eugéniste ?
Si l’on en vient plus précisément aux contributions à ce colloque, il faut dire bien entendu qu’elles ne prétendent ni à l’exhaustivité ni à l’équité entre les diverses positions qui ont cours par exemple en génétique. Entre celles d’Axel Kahn, d’Henri Atlan, de Pierre Tambourin, de Jacques Testart ou de Jean-Paul Renard, on ne peut pas dire que règne une totale unanimité et sur le plan scientifique, et sur le plan éthique. Il est donc vain d’imaginer trouver ici une représentation objective, un panorama des recherches en cours. Chaque jour quasiment nous renseigne plus avant sur les progrès et les incertitudes de la biologie. Souvent, schémas à l’appui, la vulgarisation scientifique — qui joue un rôle majeur dans la médiatisation du clonage — explique avec rigueur et clarté ces phénomènes pourtant infiniment complexes. Il va donc sans dire que nous n’aurons pas ici l’ambition dérisoire de faire le tour de ces questions.
Pourtant, même en sachant reconnaître nos limites en ces domaines, chaque gain cognitif s’avère être un pas vers plus de transversalité et de compréhension globale des enjeux. On ne crée pas dans l’invraisemblable.
Savoir comme l’expliquait déjà Changeux, dans son chapitre sur l’épigenèse de L’Homme neuronal (Fayard, 1983), que « l’évolution du système nerveux s’accompagne d’une augmentation de la frange d’ »irreproductibilité » entre individus génétiquement identiques » (p. 278), c’est ne plus croire qu’on puisse cloner le cerveau humain. Certes un artiste peut penser faux et créer « juste », mais il reste toujours assez d’obscurité à conquérir sans de surcroît être trop en retard sur les savoirs de son temps. Le savoir ne fait pas obstacle à la création, il la démultiplie. Il arrive même que l’œuvre d’un artiste ait des vertus d’anticipation. Par ailleurs il semble que l’évolution biologique soit d’une plasticité qui, comme beaucoup d’artistes, fait flèche de tout bois.
(Texte publié avec l’aimable autorisation de Richard Conte et des Publications de la Sorbonne)
Les auteurs
Henri Atlan, médecin et biologiste, est professeur de biophysique aux universités de Paris VI et de Jérusalem, directeur du Centre de recherche en biologie humaine à l’hôpital universitaire Hadassah de Jérusalem, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Il est l’auteur d’une théorie de la complexité et de l’auto organisation, et de travaux en biologie cellulaire et immunologie, en intelligence artificielle, en philosophie et éthique de la biologie.
Gilles Barbier, artiste né en 1965, vit et travaille à Marseille.
Jacques Cohen est professeur à l’université Paris I en arts plastiques et directeur de la ligne de Recherche APPA « Praxis et altérité » au Cérap (Paris I).
Richard Conte est professeur à l’université Paris I—Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre d’études et de recherche en arts plastiques de Paris I (Cérap). Depuis 1994, il est directeur de la rédaction de la revue Recherches poï;étiques et depuis 2001 directeur de la revue [plastik]. Il est responsable de la collection « Arts et monde contemporain » aux Publications de la Sorbonne.
Claude Debru est historien et philosophe des sciences de la vie, professeur à l’université Paris VII, directeur de recherche au Cnrs et professeur de philosophie des sciences à l’École normale supérieure.
Alain Douté est conseiller artistique de la ville de Morsang-sur-Orge, coordinateur du Collectif des villes pour la culture en Essonne et commissaire général des expositions « L’art contemporain au risque du clonage » en Essonne.
Christian Gattinoni est enseignant à l’École d’art du Havre (détaché de l’École nationale de la photographie d’Arles), membre de l’Association internationale des critiques d’art, concepteur et co-organisateur des Semaines européennes de l’image, rédacteur en chef du magazine d’exporevue.com.
Sandrine Morsillo est maître de conférences en arts plastiques à l’Iufm de Paris. Artiste et commissaire d’exposition, elle articule une réflexion sur « l’exposition comme peinture ».
Stéphane Nicot, spécialiste de la science-fiction et des littératures de l’imaginaire, anime débats, conférences, formations, festivals, et publie de nombreux articles. Anthologiste, il est directeur éditorial des éditions Imaginaires Sans Frontières et directeur de la revue Galaxies.
Philippe Obliger, titulaire d’un DES de sciences naturelles, mène depuis une dizaine d’années, en parallèle de ses fonctions de jardinier-botaniste au jardin botanique de Strasbourg, une activité de plasticien du végétal qui consiste à explorer les potentiels des sujets chlorophylliens et en 1997 collabore au projet de la Grande Serre à la Cite des Sciences de la Villette.
Isabelle Rieusset-Lemarié est maître de conférences HDR à l’Iufm de Versailles. Ses travaux ont porté sur les musées et le devenir de l’œuvre d’art à l’ère des techniques de reproduction multimédia. Depuis son dernier ouvrage La Société des clones à l’ère de la reproduction multimédia (Acte Sud, 1999) ses recherches se poursuivent dans le champ des enjeux esthétiques liés aux nouvelles images et aux arts numériques.