ÉCHOS
24 Sep 2010

Larry Clark: les Verts accusent la Mairie de Paris de censure

PElisa Fedeli
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Dans une lettre adressée au Maire de Paris, Bertrand Delanoë, les Verts ont fustigé l’interdiction aux mineurs accompagnant l’exposition Larry Clark au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Selon eux, cette mesure de précaution anticipée est dangereuse pour l’avenir des musées.

Par crainte d’éventuelles poursuites judiciaires, la Ville de Paris a souhaité interdire à tous les mineurs l’exposition Larry Clark au Musée d’art moderne (du 8 octobre 2010 au 2 janvier 2011). Selon le directeur de cette institution, Fabrice Hergott, ce choix permet de présenter la totalité du contenu prévu pour l’exposition et est préférable à une simple mise en garde.

Une lettre des Verts, adressée le 22 septembre 2010 au Maire de Paris et rédigée par Danielle Fournier et Sylvain Garel, énonce plusieurs arguments contre cet «excès de prudence».

D’une part, il est regrettable que les adolescents français ne puissent pas relever par eux-mêmes tout l’intérêt d’une œuvre qui cherche justement à les éclairer, sans tabous, sur la «part d’obscurité» inhérente à leur condition.
D’autre part, cette position donne raison aux détracteurs de Larry Clark, qui qualifient sans ambages son œuvre de pornographique et cherchent systématiquement à interdire la diffusion de ses films en France.
Plus globalement, cette mesure précautionneuse pourrait se révéler la porte ouverte à tous les types d’intégrismes. Les Verts craignent en effet «un engrenage dangereux» dans un «contexte de retour de l’ordre moral et de recul des libertés publiques depuis 2007». Ils n’hésitent pas à évoquer le risque de musellement qui pèse sur l’avenir des musées.

Dans cette affaire, on semble simplement oublier que les musées offrent par nature un cadre particulier. Le visiteur, qui s’y rend volontairement, est invité à se mettre dans une disposition d’apprentissage et de réflexion critique. Ce type de lieu serait justement à même d’enseigner aux adolescents la différence qui existe entre une image pornographique trouvée par hasard sur le net et une photographie de Larry Clark.

Lettre des Verts à la Mairie de Paris:
Exposition Larry Clark : non à la censure
Mercredi 22 septembre 2010
Une rétrospective sur le prestigieux photographe américain est prévue au musée d’Art Moderne. Sulfureux regard sur l’adolescence, elle a été interdite aux mineurs. Les Verts ont écrit un courrier de protestation au Maire.

Monsieur le Maire,
Par la présente, le groupe Verts au Conseil de Paris tient à vous faire part de sa très vive inquiétude. Christophe Girard, votre adjoint en charge de la culture, a décidé d’interdire aux mineurs l’exposition du photographe Larry Clark présentée au Musée d’art moderne de Paris.
Cette censure préventive nous a profondément troublés. D’abord au vu de l’intérêt artistique et intellectuel que représente cette rétrospective pour les jeunes Parisiens. En photographiant les dérives de l’adolescence — sexe, drogue et violence notamment —, l’artiste américain a dévoilé les facettes les plus sombres de cette période mystérieuse et contrastée. En mettant à jour sa part d’obscurité, Larry Clark éclaire en contrepoint le quotidien de tout adolescent, d’hier comme d’aujourd’hui. «L’œuvre peut-être la plus forte sur l’adolescence est interdite aux adolescents» constate ainsi un journaliste du Monde (édition du 17 septembre).
Pourquoi cette censure? Il ne fait guère de doute qu’elle a été inspirée par la crainte de poursuites contre les organisateurs. Prudence légitime? A notre sens, il s’agit en réalité d’un excès de prudence. En prévenant toute contestation, la Ville joue le jeu des intégrismes qu’elle combat par ailleurs: elle leur donne raison avant même qu’ils se soient manifestés.
Cette « prudence » est d’autant plus incompréhensible que la Ville avait déjà présenté l’œuvre de Larry Clark dès 1992, sans la moindre difficulté, au Forum des Halles ainsi qu’à la très conséquente exposition à la Maison Européenne de la Photographie en 2007-2008.
Par ailleurs, les bibliothèques de la Ville de Paris comprennent plusieurs ouvrages et films du photographe librement accessibles : ce que l’on a toujours accepté — et plus encore valorisé — auprès de tous les Parisiens, se trouve ainsi brutalement dissimulé aux plus jeunes, du jour au lendemain.
Plus inquiétant, par cette décision, la Ville met le doigt dans l’engrenage particulièrement dangereux de la censure préalable. Elle prend le risque de museler autant les musées, aujourd’hui relativement libres, que les cinémas. Rappelons qu’en France, toute œuvre du grand écran doit prouver avant sa diffusion qu’elle s’adresse autant aux mineurs qu’aux majeurs. Par ce contrôle, l’érotisme (le sexe fait art) est interdit aux adolescents, les incitant bien souvent à se rabattre sur la pornographie du web (le sexe fait industrie), souvent marquée par un machisme assumé.
Il n’en va — heureusement! — pas ainsi dans le domaine de la presse, du théâtre, de la littérature… et des musées. Dans ces domaines, la censure ne s’applique pas a priori, elle ne peut intervenir qu’en cas de plainte a posteriori. Cet équilibre est une bouffée d’oxygène pour les écrivains, les comédiens, les peintres, les sculpteurs et les photographes.
En interdisant aux mineurs l’exposition Larry Clark, la Ville de Paris risque ainsi de créer un dangereux précédent. Notre Ville veut-elle réellement s’illustrer en devenant la première à censurer la production d’un photographe de réputation internationale ? De plus, cette mesure donnera des arguments supplémentaires aux censeurs qui veulent interdire les films de Larry Clark au moins de 18 ans (ce qui revient, de fait, en France, à une interdiction totale) alors que ses œuvres cinématographiques n’ont été interdites qu’aux moins de 16 ans et ont ainsi pu être diffusées dans notre pays.
Dans un contexte de retour de «l’ordre moral» et de recul permanent des libertés publiques au niveau national depuis 2007, ce coup porté à la création artistique nous semble particulièrement inquiétant.
Pour autant, nous gardons à l’esprit le trouble que peuvent créer certaines images auprès de publics non avertis.
Aussi le Groupe des éluEs Verts vous propose, Monsieur le Maire, de lever la prohibition qui frappe tous les jeunes visiteurs de cette exposition âgés de moins de 18 ans. Remplaçons-la par une mise en garde claire à l’entrée du musée et dans la communication de la Ville auprès du public sur le caractère parfois violent ou sexuellement explicite de certains des clichés. Et laissons à chacun le soin de juger l’intérêt de cette exposition en fonction de sa propre sensibilité et de celle de ses enfants.

Veuillez d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de sentiments distingués.

Danielle Fournier
Sylvain Garel

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