ÉCHOS
08 Oct 2010

Larry Clark: le Maire de Paris accuse Libération d’un «renversement stupéfiant de la vérité»

PElisa Fedeli
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Le 8 octobre, s’ouvre l’exposition Larry Clark au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, interdite aux mineurs par la Mairie de Paris. Libération a déploré «la tartufferie de cette décision» et relaté la polémique dans un dossier spécial. Le Maire lui répond.

Libération a qualifié de «prude» et assimilé à «un plein camion de puritanisme» la décision de la Mairie de Paris, s’étonnant du «sens de cette censure par une mairie de gauche».

Face à cette nouvelle attaque polémique, le Maire de Paris n’hésite pas à parler d’un «renversement stupéfiant de la vérité» et a énoncé un à un les arguments suivants.

D’abord, l’accusation de «censure» est inappropriée car aucune photo de l’artiste n’a été retirée du corpus initialement prévu. Contrairement aux affirmations des médias, le maire rappelle que, dans le cadre de l’exposition de La Maison européenne de la photographie, la série Teenage Lust avait été tronquée d’une partie de ses clichés. Cette série étant exposée en totalité au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, le Maire peut se targuer de préserver la liberté absolue d’expression de l’artiste.

Ensuite, il accuse Libération de tromper ses lecteurs en diffusant la part la plus tendre du travail de Larry Clark, les illustrations choisies par le journal n’étant pas «les plus sensibles». Pour rectifier cette erreur, la Mairie de Paris a joint à son communiqué de presse un fichier de 13 photographies, jugées par elle les plus dérangeantes.

Enfin, pour le Maire, la liberté artistique n’échappe pas au respect de la loi: «Si nous pouvons chacun avoir nos convictions personnelles et citoyennes sur l’évolution du regard de la société sur la sexualité, la Mairie de Paris n’est pas au-dessus des lois».

Soit. Il reste pourtant à savoir si les photographies de Larry Clark doivent tomber sous le coup de l’article 227-24 du code pénal, brandi comme un talisman par la Mairie de Paris. Le problème est là : les organisateurs n’ont pas su se prononcer clairement en faveur du caractère non pornographique des oeuvres de Larry Clark, ce qui aurait fait taire la polémique d’un seul coup. Christophe Girard, adjoint du Maire, ose affirmer qu’il ne saurait «juger si Larry Clark est un immense artiste ou s’il relève d’un effet de mode». Seul, le commissaire général de l’exposition, Fabrice Hergott, regrette que «la loi soit appliquée à Larry Clark qui n’a rien à voir avec une supposée pornographie».

Isoler 13 photos choquantes — comme l’a fait la Mairie de Paris pour justifier l’interdiction aux mineurs — est non seulement outrageant pour l’artiste, dont le travail est disséqué par des non spécialistes sur de mauvais critères, mais aussi ridicule: cela signifie-t-il que certaines photos de l’artiste sont pornographiques et que d’autres ne le sont pas?

Bien que certaines situations photographiées soient effectivement très crues, une oeuvre ne se réduit pas à son sujet mais elle s’éprouve d’un point de vue stylistique et politique. Si les adultes ne savent pas trancher eux-mêmes, comment pourront-ils guider leurs enfants vers une bonne appréhension de ce qu’est l’art?

Lire sur paris-art.com:
L’interview de Christophe Girard

REFERENCES

Au sujet de l’exposition Larry Clark

Dans un dossier publié ce jour, le quotidien Libération dénonce l’attitude de la Mairie de Paris relative à l’exposition du photographe Larry Clark, n’hésitant pas à parler de «censure», «d’hypocrisie», « d’ordre moral » et même de «tartufferie».



Dans les faits, parler de censure de l’œuvre de Larry Clark relève d’un renversement stupéfiant de la vérité. Car, en réalité, l’exposition que la Ville de Paris présentera au Musée d’Art Moderne, à compter de demain, constitue la première rétrospective intégrale de l’œuvre du photographe américain en France sans qu’aucune de ses photos ait précisément subi une quelconque censure. 



Faisant le choix de préserver pour la première fois l’entière liberté de Larry Clark, la Ville en assume la conséquence en interdisant l’accès des mineurs à cette exposition, appliquant en cela les termes du code Pénal, notamment son article 227-24[1]. Cette disposition n’exclue en rien les œuvres artistiques ni les institutions culturelles de son champ d’application qui recouvre les images à caractère violent ou pornographique ou donnant à voir des scènes de toxicomanie. Il est de notre devoir de responsables publics d’éviter à la fois un risque d’interdiction judiciaire de l’exposition (sur tout ou partie des œuvres) ou un risque pénal pour le conservateur du Musée ainsi que pour les commissaires. Il n’y a là nulle attitude « prude » – ne confondons pas la morale et le droit – mais la volonté responsable de permettre précisément l’expression de la liberté artistique dans le respect des textes applicables.



Car en effet, certains des clichés de cette exposition ne sauraient être montrés à un public mineur sans tomber sous le coup de la loi. C’est précisément ce que Libération n’a pas permis à ses lecteurs de mesurer en faisant le choix de publier des photos de Larry Clark  qui ne font pas partie des plus sensibles. Face à un tel procédé, on peut se demander où sont les Tartuffe?

Il en est de même quand Libération trompe ses lecteurs en indiquant que les mêmes photos auraient été déjà présentées par la Maison Européenne de la photographie (MEP) en 2007. C’est tout simplement faux. La série Teenage Lust, qui comporte les photos en question n’a jamais été montrée dans son intégralité en France dans un lieu public. A l’exception de la Norvège, elle n’a d’ailleurs pas été montrée en Europe depuis qu’elle existe. Les musées de New York qui la possèdent ne la montrent pas. L’exposition de 2007 à la Maison Européenne de la photographie était consacrée à la série Tulsa, qui figure également dans l’exposition du MAM. La MEP a bien présenté quelques photos de la série Teenage Lust, mais en aucun cas celles qui, figurant pourtant dans ses collections, ont été jugées trop violentes ou choquantes. 



Pour finir, il est également gravement inexact d’indiquer que cette interdiction d’accès des mineurs à tout ou partie d’une exposition d’art contemporain serait sans précédent. Car tel fut déjà le choix de la Bibliothèque Nationale de France pour son exposition « L’enfer » en janvier 2008, ou La Biennale de Lyon en 2007 pour l’accès à une salle où étaient exposées certaines photos de David Hamilton.



La Ville de Paris revendique son choix de présenter cette exposition de Larry Clark dans des conditions de liberté absolument inédite. Nous assumons de privilégier ainsi la liberté artistique – celle des artistes et de leurs œuvres – quitte à l’accompagner des mesures de précaution indispensable. Nous invitons d’ailleurs tous ceux qui commentent cet événement à commencer par prendre connaissance de la totalité des œuvres exposées et particulièrement de celles qui ont justifié notre décision.



Si nous pouvons chacun avoir nos convictions personnelles et citoyennes sur l’évolution du regard de la société sur la sexualité, la Mairie de Paris n’est pas au-dessus des lois. Les procès démagogiques instruits sur la base d’arguments fallacieux ne doivent donc pas minorer l’ampleur et la portée de ce rendez-vous auquel, et c’est l’essentiel à nos yeux, le public saura sans aucun doute répondre massivement.

Communiqué de presse de Bertrand Delanoë daté du 07/10/2010.

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