Olivier Filippi
Laps
Exposé en 2012 à la galerie AL/MA, Olivier Filippi présente un ensemble de peintures récentes qu’il a souhaité réunir sous le titre de «Laps». Ce mot désigne: un espace de temps généralement court, une temporalité neutre qu’aucun évènement ne remplit — sauf le passage même du temps. Mais derrière cette apparente neutralité, comment ne pas entendre dans ce terme de «Laps» celui de «Lapsus» de même origine: une défaillance du langage, de la mémoire qui dévoile ce qu’il essaie de recouvrir. Comme si pour Olivier Filippi, peindre était à la fois un laps de temps, dont la neutralité le fascinait et qu’il identifiait au visible de la toile et un double travail de recouvrement et dévoilement qui, lui, avait «à voir» avec le non-dit, le non-visible, mais dont la prégnance n’est pas moindre.
«En quelques années, et aussi lentement que possible, Olivier Filippi a réalisé plusieurs séries de peintures. D’abord de grandes toiles traversées de gestes élégants, fondus dans le blanc du support. Puis, à partir de 2009, de superbes monochromes verticaux bordés d’étroites bandes dégradées, dans lesquels l’aplat central se présente de manière autoritaire — muraille ou falaise masquant le «fond» de la toile. Dans une série plus récente, il partage des formats toujours plus minces en quatre triangles rectangles, introduits à gauche par un dégradé qui dématérialise le bord vertical du tableau (comme si la composition était une image scannée ou en train de l’être). A chaque nouvelle version, les couleurs d’origine sont légèrement ternies avec du noir ou du gris, et les formats amplifiés — de l’échelle domestique à celle d’un musée. La série se développe comme une réflexion sur son propre épuisement: celui de la peinture et de ses reproductions, de la dilution du statut du tableau.
Dans ces ensembles très aboutis, la facture de la toile paraît quasiment numérique, alors qu’elle est réalisée de manière artisanale (avec une certaine virtuosité, quand même). De cette manière, les tableaux anticipent leur photogénie et assument le destin qui les voue à n’apparaître le plus souvent que sur l’écran d’un ordinateur, d’une tablette — ou la page d’un catalogue. Par ailleurs, ils nous disent aussi que les grands concepts de la peinture abstraite se sont évaporés dans la réalité au point de rendre impossible la solidité du plan du tableau, qui apparaît toujours flouté ou gazeux — entre “flatness” et illusionnisme.
Ces peintures pourraient être des abstractions gestuelles ou des compositions d’art concret — et elles le sont effectivement — mais elles en sont aussi une image générique. Les grands pionniers de l’art abstrait ont certainement eu le sentiment d’inventer un langage complètement nouveau; aujourd’hui, un peintre abstrait apprend à parler avec le langage des autres. L’abstraction est une langue qui revient du monde vers le tableau. C’est ce retour que l’œuvre de Filippi enregistre. Il ne se contente pas, comme les artistes de l’abstraction trouvée, de travailler «sur le motif»: il transcrit avec grâce ce double état de la surface peinte. C’est le travail ordinaire d’un peintre d’obtenir un tableau, mais c’est une chose qui tient du miracle à une époque où toutes les peintures ont déjà été vues — et où la plupart de celles qui sont faites ne sont vues qu’en photo.» (Hugo Pernet)