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L’Apparition du visible

Il faut croire qu’il suffit d’être patient, de s’accrocher au pinceau pendant une trentaine d’années pour finir par percer. C’est arrivé à Christian Bonnefoi, lequel a droit à sa retrospective au Centre Pompidou. Et pas n’importe où : dans sept cents mètres carrés de l’espace olympien, céleste et éthéré du Musée.
Christian Bonnefoi est donc, avec le temps, devenu une figure de la “scène” picturale française des années 1970. Le mot “scène” est, sinon obscène, du moins excessif, car il suppose que l’artiste joue un rôle, frime ou fasse du cinéma, vende son âme ou se prenne pour une vedette du rock. Celui de “milieu” n’est pas mieux.

Le titre de l’exposition, L’Apparition du visible, a quelque chose de pléonastique, une apparition étant, nous semble-t-il, forcément visible. Il est plus positif, sans doute, que celui de Disparition (Georges Perec).
Pourtant, les œuvres et les procédures de Christian Bonnefoi auraient tendance à escamoter, à effacer toute velléité de figuration. Non seulement la matière se dilue dans la pellicule (la fine peau de chagrin) qui recouvre le cadre (parfois aussi le non cadre : la toile protéiforme étant épinglée directement sur des cimaises plus tendres que le béton), mais il arrive que l’artiste peigne à l’aveuglette, des deux côtés du miroir, au verso et au recto, comme pour embuer la (première) vue du spectateur.

On a droit à du costaud, à du sérieux, l’exposition ayant réuni pas loin d’une centaine de toiles, de toutes sortes, de toutes formes, formules et formats.
Parlons-en des formats. Curieusement, et contrairement à beaucoup de peintres, et non des moindres (Klee, par exemple, n’est lui-même que lorsqu’il s’exprime sur de petits gabarits), Christian Bonnefoi n’est vraiment convaincant (pour nous, bien sûr) et même touchant qu’à petite échelle, lorsqu’il réalise des esquisses sur son cahier Canson à spirale (17 x 22 ou 24 x 32), comme ces 16 collages de 1974 rehaussés de traits de crayon, de feutre, de coupures de journaux (sur papier de soie et de tarlatane, autrement dit sur des supports translucides), ou, au contraire, dans ses toiles gigantesques, comme ces Babel IV, Eroïcus, à Martin Barré, datant de 1983, en un noir et gris historié de rose. Entre les deux, il n’est certes pas si mal que cela, mais le résultat manque ou de finesse ou de force.

Malgré tout, tout ce qu’on voudra, les intentions affichées, la démarche analytique de l’artiste, la voice over qui parasite tout ce qui bouge de sa surinterprétation, force est de constater qu’on demeure ici dans la tradition ripoline pure et dure, la peinture-peinture à l’ancienne, qu’on ne se situe pas vraiment, quoiqu’on en dise, du côté de la brisure des années 70, mais plutôt dans la tradition de l’École de Paris.
Dans cette suite plus ou moins logique, cette fragilité, cette délicatesse, cette transparence d’un Tal Coat, dans l’austérité systémique d’un Martin Barré délaissant la pâte expressionniste, le lyrisme informel et spontanéiste, auquel se réfère sans cesse Christian Bonnefoi, et, par conséquent dans une gamme volontairement réduite de couleurs, et même délibérément limitée au nuancier de valeurs. La seule référence qui vaille est celle des constituants de la peinture: la surface ou la page blanche, le plan, le cadrage, la gestuelle, la teinte, le trait, la couleur et la coulure.

Les séries de Christian Bonnefoi retracent les «périodes» ou les «manières» singulières de l’artiste qui vont, grosso modo, du tableau structuré en diagonale, suivant une logique suprématiste mâtinée de minimalisme, composé, tel une momie, de bandelettes en partie superposées, teinté de couleurs délavées limitées au strict minimum (série des Hypérion), à l’époque actuelle où le peintre s’est décomplexé, est parti dans diverses directions, est devenu luxuriant, formellement et chromatiquement parlant, est passé d’un motif, repérable, répété à l’envi, à un autre, indécidable, indéchiffrable.
La procédure, après trente ans, n’a pas trop évolué et obéit toujours aux principes de feuilletage, de travail multicouche, de palimpseste, de juxtaposition ou de surimpression de formes libres, de plages difficilement dissociables, de rehauts de traits crayonnés, de touches ou de retouches plus ou moins pastellisées.

Mais la rétrospective de Christian Bonnefoi montre la richesse de l’œuvre, ses influences qui vont du Mondrian tremblotant des débuts aux traits sûrs et certains d’Alechinsky, en passant par les volutes colorées de Dubuffet et les coups de brosse aux teintes saturées de Lichtenstein. L’affirmation du visible, en somme.

Christian Bonnefoi
Occasion, Dos, 1974. Collage papier journal et buvard, feutre. 27 x 21 cm.
Babel II « ciel liquide », 1979. Toile tarlatane, acrylique, graphite. 200 x 130 cm.
Babel III, 1979. Toile tarlatane, acrylique, graphite. 200 x 130 cm.
Eureka III, « Sabra », 1982. Toile tarlatane, acrylique. 220 x 280 cm.
Babel IV, « Provenant », 1982-1983. Toile tarlatane, acrylique, graphite, collage de papier journal 250 x 300 cm.
Babel VII l’obscur, 1989 – 1990. Toile tarlatane, pastel. 205 cm x 200 cm.
P.L.I, 1989. Toile tarlatane, acrylique. 250 x 200 cm.
Prophète, « Jackson », 1993. Toile tarlatane, acrylique. 200 x 180 cm.
Station 2, 1993 – 1994. Toile tarlatane, acrylique. 195 x 130 cm.
Station 13, 1993 – 1994. Toile tarlatane, acrylique. 195 x 130 cm.
Babel XIV Rosa Silber, 1999. Toile tarlatane, acrylique, graphite. 195 x 130 cm.
Babel XVI Dogon, 1999. Toile tarlatane, acrylique, graphite. 180 x 160 cm.
Hyperion IV, 2001. Toile tarlatane, acrylique. 200 x 165 cm.
Eureka VI, Gaudéo, 2003. Papier de soie, acrylique, graphite. 200 x 165 cm.
HCI,1, 2003. Collage mural papier de soie, acrylique. 277 x 292 cm.
Dos vert, 2004. Papier de soie, acrylique, graphite. 230 x 165 cm.
Dos « pissant », 2004. Collage mural. Papier de soie, acrylique, graphite. 190 x 105 cm.
Babel XIX, 2007. Papier de soie, toile tarlatane, acrylique, graphite. 200 x 250 cm.

 

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