Procédant à la manière d’un archéologue et usant de la technique dite «anastylose» qui consiste à reconstruire un monument en ruine grâce à l’étude méthodique de l’ajustement des différents éléments qui composent son architecture, Simon Boudvin livre un état des lieux du territoire.
Ses photographies présentées à la Galerie Jean Brolly et intitulées Chaussée, Pont, Fondations, Concave, 5 pilliers, témoignent de l’abandon des choses et des pans oubliés, perdus, de nos paysages contemporains.
Carrières à l’abandon, routes devenues étendues d’herbes, ponts fermés et inaccessibles, fondations de bâtiments enfouies et délabrées, projets d’urbanisme inachevés et arrêtés, autant de constructions éteintes et désormais sans fonction. Les chantiers des hommes se voient débordés, dépassés par la nature qui reprend ses droits sur des matériaux modernes tels que le béton.
Avec poésie, Simon Boudvin opère un prélèvement, un échantillonnage de terrains brisés. Ce questionnement autour de l’objet, de sa forme, de son usage ou fonction et de sa déchéance est également inscrit dans les sculptures présentées et intitulées Pylône et 3 Tectoèdres.
Ainsi entrant dans l’espace, le spectateur se trouve face à un gigantesque pylône haute tension en fer galvanisé, verre et câble électrique, reproduit au 2/3 de son échelle, sur lequel une force incroyable a été exercée jusqu’à le faire plier.
Ici l’objet, conçu afin de résister à toutes forces, même les plus extrêmes, perd son invincibilité et ainsi sa fonction. Allongé, posé au sol, passant de la verticalité à l’horizontalité, il devient un corps abîmé et fragile. Une nouvelle fois, la construction humaine se voit réduite à néant.
Cette œuvre, telle une araignée de métal ou un personnage démembré, prend chair. Et gisant là , provoque du sensible. Seul un géant aurait pu mettre à terre cette carcasse de fer. Et l’on se prend à rêver d’un combat mythique.
L’immensité de cette sculpture est mise en frottement avec le tout petit. On retrouve ainsi, posées sur une étagère, trois formes s’apparentant à des dunes de sables, à des silex, et faites de métal, bois et poudre de gravas. Tels des cailloux ramassés lors d’une promenade, ou des restes de fondations trouvés lors de fouilles archéologiques, ou encore des débris de chantiers, ces sculptures Tectoèdres soulèvent de la poussière et suggèrent de lointains et anciens paysages. Saisissantes et lunaires, elles se décolleraient presque de l’étagère et évoquent le fossile.
Juste à côté, se trouvent deux planches de plans, dessins techniques d’un bâtiment détruit. Ici, Simon Boudvin dévoile avec précision, tel un architecte avant tout projet de construction, ce morceau de grava, seule trace, seul reste d’une fondation déchue.
Les œuvres de Simon Boudvin livrent un inventaire poétique des zones abandonnées, de territoires oubliés, de chantiers avortés. Il opère une reconstitution du paysage, et donne à voir ce qui est perdu. Les projets de l’homme se voient ici compromis et deviennent des anomalies sur lesquelles la nature a repris ses droits.
Le pylône haute tension ne répond plus à sa fonction initiale, les routes sont chemin de terre, les lampadaires semblent n’avoir jamais fonctionné, les carrières souterraines sont désormais orphelines et artificiellement mises en lumière par l’artiste à l’aide de néons.
Questionnant l’architecture, détachant l’objet de sa fonction initiale, Simon Boudvin met en forme le souvenir, l’empreinte, la brisure, le gâchis. Son geste tel un témoignage est plein, précis, absolument plastique et laisse au spectateur d’incroyables et lointaines rêveries.
Simon Boudvin
— Pylône, 2009. Fer galvanisé, verre, câble électrique. 235 x 740 x 600 cm.
— 3 tectoèdres, 2009. Métal, bois et poudre de gravas. Dimensions variables.
— Chaussée, 2008. Photographie. 60 x 70 cm.
— Pont, 2008. Photographie. 60 x 70 cm.
— Fondations, 2008. Photographie. 60 x 70 cm.
— Concave 04, 2007. Photographie. 120 x 150 cm.
— 5 pilliers, 2006. Photographie. 76 x 97 cm.