Les «Contrepoints» organisés par le Musée du Louvre proposent de vastes parcours dans le dédale des collections permanentes, infiltrées d’œuvres contemporaines, chamboulées dans leur ordre et leur dialogue traditionnels. Après avoir invité en 2007 Sarkis, Anselm Kiefer, Christian Milovanoff, et onze artistes dans le département des sculptures, le Louvre laisse à Jan Fabre l’initiative de tisser un fil d’Ariane, dans les salles de peinture consacrées aux Ecoles du Nord.
A l’entrée de l’immense collection, une installation déconcertante brise le tabou de la distance conventionnelle, qu’est tenu de respecter le spectateur face à l’œuvre : un petit homme vêtu d’un pardessus se casse littéralement le nez sur un tableau d’un de ses lointains prédécesseurs, Rogier Van der Weyden, et se vide lentement de son sang.
En s’approchant, on reconnaît la silhouette et le profil de Jan Fabre, représenté en nain, mais d’un réalisme troublant. A se tenir trop loin de l’œuvre, on la fige dans une histoire momifiée par la révérence, mais à se placer trop près et à vouloir s’imprégner d’elle, on se vide de soi-même. Je me vide de moi-même est le titre de cette installation inaugurale : l’abandon sans réserve à l’œuvre et la confrontation immédiate sont ainsi laissées à la porte du parcours, au double titre de préambule sacrificiel et d’écueil violent.
Jan Fabre n’en est pas à sa première expérience d’immersion au cœur de collections historiques : en 2006, le Musée royal des beaux-arts d’Anvers l’avait invité à tracer un parcours analogue.
Dessinateur et plasticien, Jan Fabre est également homme de théâtre et chorégraphe. «Contrepoint» met à contribution toutes ces facettes de l’artiste : ses œuvres sont insérées dans le corps des collections selon une dramaturgie toute théâtrale. La présence presque imperceptible de petits objets et de dessins discrets rivalisent ainsi d’effets avec la mise en scène spectaculaire de grandes sculptures, brillant de mille feux.
L’installation finale est une véritable apothéose : dans la salle Rubens dédiée à Marie de Médicis, gigantesque galerie de peintures monumentales, Jan Fabre a déployé une centaine de pierres tombales chaotiques. Sur les stèles, des noms d’insectes en lieu et place des personnalités qu’ils invoquent sans les nommer, et pour seul indice, leurs dates de naissance et de mort, au milieu desquelles figurent celles de Marcel Duchamp ou Jean-Paul Sartre. Se glissant entre les pierres, un immense verre de terre au visage de l’artiste ondule et profère en flamand : «Je veux sortir ma tête du nœud coulant de l’histoire».
La mort marque l’entrée et la sortie de ce parcours tracé dans l’histoire de la peinture flamande. Entre les deux, Jan Fabre se prête à des combats de chevalier et des méditations philosophiques, se représente en petit bagarreur, en perroquet nain, ou en joker de carnaval, dessine au bic et aux traces de sperme. Une figure se répète en miroir : celui des élytres chatoyants du scarabée, insecte fétiche de l’artiste, symbole d’éternité et d’une beauté pullulante.
Gisants, vanités, reliquaires, Jan Fabre s’approprie le motif de la mort pour s’inscrire dans l’histoire, travaille en elle la part de purulence et vitalité, traverse nœuds coulants et bain de sang, et propose ainsi la plus radicale des métamorphoses, celle arrachée à la décomposition et à l’abandon.
Jan Fabre
— Sanguis Sum, 2001. Sculpture.
— La réincarnation de Giovanni Arnolfini, 1997. Sculpture.
— Sarcofago Conditus, « Lui qui fut représenté sur sa tombe », 2003. Sculpture.
— Le petit bagarreur, 1978-2006. Sculpture.
— Les Messagers de la mort décapités, 2006. Sculpture.
— Colombes qui chient et rats qui volent, 2008. Sculpture.
— Bruges 3004 (Ange en os), 2002. Sculpture.
— Umbraculum (bras et jambe), 2001. Sculpture.
— Autoportrait en plus grand ver du monde, 2008. Installation.
— Gravetomb, 2000. Sculpture.
— Le bousier, 2001. Sculpture.
— Aura-t-il toujours les pieds joints ?, 1997. Sculpture.
— Je me vide de moi-même (nain), 2007. Installation