Présentation
Collectif
Landscope
Le néologisme « landscope » – contraction de l’anglais « landscape [paysage] » et de « scope [du grec skopein: observer] » , le paysage est envisagé autant comme site que comme vue, même si c’est moins le paysage physique ou réel, et encore moins les mutations de notre paysage contemporain, qui sont ici observés que la notion historique elle-même, à travers ses caractéristiques archétypales.
Pour la plupart inscrits dans une veine rousseauiste, ces paysages récusent leur rôle conventionnel d’arrière-plans et proposent une possible autonomie du sujet en l’absence de toute présence humaine. Se faisant ainsi les illustrations, par écho, du rêve de Maeterlinck d’un théâtre sans acteurs, ces œuvres instaurent une scénographie de l’absence, une phénoménologie du vide et des éléments naturels (végétation, étendues et reliefs terrestres, marins voire célestes) qui, si elle trouve ses origines dans les œuvres peintes de William Turner ou Caspar David Friedrich [voir ill. p. 71, a également assimilé tout un pan de l’abstraction moderniste dans sa conception all over d’une vision éclatée, relative à l’abandon du sqjet central qui concentrait toute l’attention de l’observateur. Ces scènes, donc, si elles sont bien désertes, n’en demeurent pas moins des « paysages d’évènements » (P. Virilio), de véritables situations au sens de sites, résultant le plus souvent non pas de la dynamique d’une narration mais de la collision dialectique de systèmes et de registres formels, logiques et scopiques empruntés à l’histoire de la vision et de la représentation.
Exceptionnellement au fait de leurs antériorités esthétiques, et dans leur ensemble sciemment dénués de toute transcendance ou tout symbolisme, ces travaux figurent en quelque sorte des paysages après l’art, des paysages à distance, privilégiant le transfert et le détournement, selon un processus d’appropriation de modèles préexistants et de déperdition informative, une abstraction, au profit d’une intensification du caractère profondément structurel de la représentation et de la vision. Ainsi, le dessin, comme médium, S’impose comme l’outil in-dispensable de la reconsidération de cette notion de paysage par son artificialité patente : à la différence d’une photographie, il est difficile d’envisager un dessin   comme illusion plausible de la « fenêtre ouverte sur le monde » de Vasari.
Ce rapport au monde, nécessairement dialectique, en fait l’outil indispensable de la reconsidération de cette notion de paysage. Car dans sa définition première, le dessin concerne la représentation, la suggestion et l’organisation, perspective, des objets sur une surface.
Heinrich WôIfflin, en 1914 à propos de Dürer, n’envisageait pas autrement cette technique dans son rapport au paysage : « Dans la nature, il n’existe pas de lignes. Chaque chose se soustrait à cette tentative [de réduire le visible en lignes] le feuillage des arbres, les ondes de l’eau, les nuées du ciel. On s’aperçoit vite que la ligne ne peut être qu’une abstraction puisque ce qui se voit ce ne sont pas des lignes, mais justement des mas-ses, claires ou sombres, qui se détachent d’un fond d’une autre couleur. Il n’y a pas de fils noirs qui courent au contour des choses Toutefois, si elle est essentielle, cette conception sous-entendue par un rapport sensoriel direct à un paysage physique réel ne saurait suffire à cerner ces travaux contemporains qui entretiennent un rapport transitif, ou médiat, à un paysage naturel appréhendé de moins en moins directement mais par le biais de ses proliférantes représentations documentaires et plastiques.
Dans le vaste champ couvert par leurs particularités respectives, les travaux réunis dans cet ouvrage conduisent à considérer toute perception comme foncièrement impure, où l’œil n’est que l’outil, toujours tâtonnant, de l’ajustement de la conscience au réel. Tout observateur, et par la même tout artiste, s’impose dès lors comme une moderne camera osbcura profondément dysfonctionnelle et créative.