Carole Benzaken puise ses sujets dans l’univers quotidien et les images qu’il colporte. Après s’être inspirée des bouteilles, des footballeurs, des funérailles de Lady Diana, utilisant les photographies de magazines et les images télévisuelles, elle s’empare ici du mythe de l’exotisme.
«Land of the Sun», fidèle aux promesses de son titre, représente des paysages de bord de mer aux couleurs chatoyantes, des palmiers dont le sommet se perd dans le bleu du ciel, des fruits sucrés par la chaleur du soleil. Tous les poncifs publicitaires sont là , mais ils se craquellent sous nos yeux, laissant apparaître le blanc de la toile.
Cette thématique s’est imposée à Carole Benzaken au cours d’un long séjour passé à Los Angeles, pour resurgir au détour d’un trottoir parisien. Des affiches publicitaires échouées sur le bitume vantaient les charmes de la cuisine créole, brandissant l’étendard des palmiers et des fruits exotiques. Ces stéréotypes moulés dans les rêves de voyage avaient néanmoins perdu de leur éclat: piétinés par les passants, mouillés par la pluie, ils ont connu le triste sort des caniveaux.
Les toiles reprennent ces débris d’images lissées par le papier glacé, en les agrandissant, et reproduisent méticuleusement les marques de l’usure et du froissement. Ces lambeaux de rêve conservent leurs couleurs vives: ils sont à la fois éclatants et déchiquetés. Les déchirures sont peintes dans le blanc immaculé de la toile, et l’ensemble tient plus de la constellation miroitante que de la décomposition.
Ce pays confus croise une autre destination: Ouidah, au Benin, haut lieu de mémoire. Une peinture marine représente la fameuse «Porte du non retour», d’où sont partis plus de cent millions d’esclaves entre le XVIe et le XIXe siècles.
Le mythe de l’exotisme s’est édifié sur l’occultation d’un passé qui n’est pas si lointain. Les toiles intitulées «Reflets créoles» incitent à songer aux avatars récents de l’esclavagisme, et à percevoir ses échos dans notre monde.
Le pays du soleil est un vaste paradis perdu, où l’imaginaire occidental projette à corps perdu ses rêves d’ailleurs et d’oisiveté, confondant allègrement les continents en un même emblème publicitaire.
Mais même déchiqueté par la dure réalité, le mirage conserve l’éclat de ses couleurs, car nous avons malgré tout besoin de nos mythes.
Traducciòn española : Santiago Borja.
English translation : Laura Hunt.
Carole Benzaken
— Parousia, 2006. Acrylique sur toile. 270 x 365 cm.
— Ecclesiaste 7.24, 2006. Mine de plomb, crayon et encre lithographique, gouache opaque, sur film polyester mat,dans caisson lumineux avec 7 néons. 80 x 162 x 11,5 cm.
— (Lost) Paradise 1, 2006. Acrylique sur toile. 80 x 70 cm.
— (Lost) Paradise A, 2006. Acrylique sur toile. 207 x 293 cm.
— Paris, Ouidah, Los Angeles, 2006. 2 huiles sur bois et DVD sur écran LCD. 15,5 x 80,5 x 4 cm (dimensions variables).
— Rush Hour, 2006. 6 DVD sur écran LCD. 35 x 60 x 4 cm.