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Land Marks

09 Avr - 18 Juin 2005

Série de photographies et de vidéos d’une dizaine d’artistes. Ils présentent leurs points de vue sur l’espace et le temps, sur la marginalité, sur les différents contextes socio-urbains. Ils recomposent un espace à la fois social et historique dont le regardeur fait l’expérience à la manière d’un spectacle. À ces portions d’espace du monde réel vient se superposer l’espace mental du spectateur.

Sean Snyder, Darren Almond, Allora et Calzadilla, Jean-Luc Moulène, Alberto Garcia-Alix, Yorgos Sapountzis, Melik Ohanian, Thomas Hirschhorn, Anri Sala, Moshe Ninio, Fikret Atay, Hassan Khan
Land Marks

Sean Snyder : Cette photographie, faisant à l’origine partie de l’installation intitulée « Script for Dallas Southfork in Hermes Land », Slobozia, Romania, 2001, montre au second plan un modèle de Tour Eiffel, dont on ne saurait définir l’échelle, posée sur un vaste terrain herbeux laissé à l’abandon ou en attente d’être occupé. « Southfork Dallas in Hermes Land », à mi-chemin entre le parc d’attraction et la réplique (en une fois et demi plus grand) du ranch texan de la série télévisée Dallas, a été aménagé dans les années 1990 par le milliardaire roumain Alexandru juste après le chute du régime communiste de Ceausescu. Dans la décennie précédente, cette série était le seul programme américain autorisé à la télévision roumaine, principalement dans le but de démontrer la corruption du système capitaliste occidental. Sean Snyder, en un travail qui oscille entre documentaire et fiction, poursuit sa quête de mise en lumière des inconsistances et des incongruités de certaines réalités urbaines, conséquences comme dans le cas présent de « court-circuits » idéologiques.
Ici, la tour Eiffel est à la fois icône de l’architecture urbaine, et spectre dans ce paysage déserté.

Darren Almond : La série des « Below » découle d’un travail cinématographique et photographique réalisé au cours d’un voyage en Antarctique où l’artiste fut invité à participer à la mission scientifique« Antarctica » au début de l’année 2002. Ces photographies, transférées sur papier millimétré, évoquent la navigation de la mission autour de ce vaste territoire de glace. Darren Almond est fasciné par le statut de « degré zéro » du pôle sud dans notre système géographique. L’Antarctique est à la fois le dernier continent découvert, mais il est aussi le premier, celui auquel ont été autrefois rattachés tous les autres. Pour l’artiste, l’Antarctique représente « l’axe du temps et de l’espace, l’axe de tout ». Tout comme ces œuvres sont une tentative futile de quantifier et de maîtriser ces notions : apposer un diagramme sur ce vaste paysage blanc dont aucun élément familier à l’homme ne permet de fournir une échelle, un point de repère. Images qui renvoient aussi au tableau de bord du navire, dans l’illusion d’un imperceptible mouvement vers ce territoire inhumain. La fusion du temps et de l’espace.

Allora et Calzadilla : La série des photographies « Land Marks »(foot prints) est la continuation d’une collaboration entre les deux artistes et différents groupes activistes rassemblés en 2001-2002 sur l’île de Vieques, à Porto Rico, pour protester contre son occupation par l’armée américaine. Les militaires se livrait depuis plus de 60 ans à des essais de bombardements et autres technologies chimiques. Les artistes ont réalisé des semelles en caoutchouc avec des pictogrammes exprimant les idéologies des individus les portant et de courts messages sur leur opinions quant à l’aménagement de l’île (réserve naturelle, centre commercial, etc…). Les empreintes laissées dans le sable de Vieques sont la matérialisation de leur contestation. Ces traces revêtent une signification d’autant plus forte que la seule présence des activistes sur le sol de Vieques entraînait, grâce aux détecteurs de la police militaire, l’arrêt forcé des bombardements. La multitude des empreintes, qui se superposent et se parfois se brouillent, présage aussi de l’avenir incertain de l’île.

Jean-Luc Moulène : « 02 05 18, Opel, Berlin » et « 02 10 06, France, Paris » sont deux cibachromes sous diasec de la série des Documents. Jean-Luc Moulène photographie des habits votifs thaïlandais. Ces chemises et ces pantalons en papier s’ornent de motifs surprenant tels que des marques de réseaux de téléphonie mobile, de voitures ou encore des références aux équipes internationales de football. Cette association contradictoire, presque improbable étonne. La société de consommation empiète sur le territoire funéraire. L’insolite qui caractérise ces deux photographies nous invite à découvrir à la fois des pratiques funéraires traditionnelles et ancestrales mais aussi une consommation à outrance, qui suit l’individu même dans la mort.
La sculpture « East-West », exposée pour la première fois à la biennale de Taïpeï en 2004, se compose de deux scies suspendues dans l’espace et flottant au-dessus du sol. Elles représentent deux techniques, deux manières antinomiques d’effectuer un geste simple. L’occidental scie en poussant l’outil tandis que l’oriental tire la lame vers lui-même. Les deux cultures exécutent donc ici une chorégraphie de gestes, un mouvement de balancier parfaitement coordonné.

Alberto Garcia-Alix : Ce choix de photographies en noir et blanc témoigne aussi de l’occupation d’un territoire spatio-temporel : celui de la Movida madrilène des années 1980. À la manière d’un anthropologue, mais tout en vivant au rythme des acteurs de ce monde marginal –qui sont aussi ses amis, Alberto-Garcia Alix en décrit le quotidien, la vie nocturne, les émotions et les drames, tels le Sida ou la drogue. Ces photographies agissent comme un prisme reflétant la réalité de cet autre contexte socio-urbain, dont les « Land Marks » seraient les visages qui les peuplent, que ce soit dans la rue, devant l’étale d’une fête foraine ou dans un café.

Yorgos Sapountzis : Adoptant la pratique d’un espace intermédiaire qui émerge de la relation entre espace public et espace privé, Yorgos Sapountzis nous enmène vers des limbes urbaines où tout est redéfini. Engagé dans une pratique où il s’approprie l’espace urbain et le réorganise à sa façon, il élève l’objet du quotidien au rang de monument tandis que le monumental devient commun. Par ailleurs, éliminant ou ignorant toute frontière, il nous révèle son univers personnel à mesure qu’il recompose un espace à la fois social et historique dont le regardeur fait l’expérience à la manière d’un spectacle.

Melik Ohanian : Les « Selected Recording » appartiennent à une série illimitée de photographies dont chaque tirage est unique. Elles sont identifiées par un simple numéro ; aucune indication de lieu ou de temps. Elles ne livrent aucun indice permettant d’en définir le sujet, ni même de deviner les intentions de celui qui les a prises. Comme leur titre l’indique, par un processus proche de l’inventaire et de la sélection, elles constituent un « arrêt sur image » de moments et de lieux que l’artiste a traversé au cours de ses voyages. Ces images ne résistent pas seulement à tout idée d’autobiographie, elles se rendent directement accessibles au regardeur et l’encouragent à y projeter ses propres expériences. À ces portions d’espace du monde réel vient se superposer l’espace mental du spectateur.

Thomas Hirschhorn fait référence à un territoire et des trafics précis par les titres qu’il appose sur ses travaux sur papier. Il y superpose le collage et le dessin dans une profusion extrême. La superficialité, le sexe et la violence des images découpées se mêlent dans un enchevêtrement de lignes qui s’inspire des boubous africains, créant un all over à l’instar des virus ou des réseuax dans ses travaux antérieurs.

Anri Sala : La végétation luxuriante au premier plan, les montages embrumées en arrière plan, c’est dans cet environnement naturel paisible, presque silencieux, que vient se nicher dans un espace circonscrit ce que l’on identifie comme un terrain de jeu,vide : une empreinte de l’occupation humaine sur le paysage. À la différence de « 31°-131° », de 2003, où la présence humaine était rendue tangible par son absence -une portion de sol foulé au milieu d’herbes hautes, ici la ville n’est plus très loin. Mais là encore, l’artiste réussit à transposer cet espace physique qui ne révèle aucun indice quant à sa position géographique, mais cependant reconnaissable dans la mémoire collective, en une zone mentale où s’entremêlent sérénité et inquiétude, réalité et fiction.

Moshe Ninio : « Rainbow : Rug » consiste en une plaque miroirique contenant et découvrant l’image holographique d’un tapis : l’œuvre disposée à même le sol, et recevant de biais une projection lumineuse, invite le spectateur à s’en approcher et à en faire le tour. L’image holographique surgit alors, sous un angle de vue bien particulier : celle d’un tapis oriental aux couleurs vives, enroulé. Le parcours du spectateur dans la pièce est ici déterminant de sa relation avec l’œuvre et de l’énigme qu’elle recèle. L’apparition, qui était une simple plaque monochrome l’instant d’avant, projette soudain le spectateur vers un territoire inattendu : l’Orient. D’autre part, l’image du tapis, qui apparaît et disparaît selon le déplacement du spectateur, fais échos à la fonction même de cet objet dans la culture orientale, qui, enroulé, suggère le nomadisme, le passage, la mobilité.

Fikret Atay : Cette scène déroutante au premier abord, a été filmée lors d’une fête locale qui se déroule une fois par an dans la région de Batman, en Turquie, près de la frontière iraquienne : il s’agit d’une fable bien connue de l’imaginaire populaire, et mimée par les habitants de la région eux-même. Comme pour ses vidéos précédentes, la stratégie basique de l’artiste réside dans un encodage plutôt que la volonté de communiquer de façon directe et transparente une quelconque vérité. Ici le spectateur est en quelque sorte déconcerté et intrigué par le décor -les collines de sud est de l’Anatolie, et la teneur de l’action -la scène d’une fête folklorique, mais il reconnaît très vite le contenu de la fable : ici ni le temps, ni l’espace n’ont de prise sur l’histoire, ce que reflète d’ailleurs le titre de la pièce, Any Time Prime Time.

Hassan Khan : To the Man Masturbating in the Toilet of the Charles de Gaulle Airport est une double installation vidéo dédiée à un étranger que l’artiste a rencontré dans un aéroport. D’un côté, la caméra effectue un lent travelling hypnotique sur des lampadaires jalonnant les bords du Nil et explore l’esthétique de l’isolation dans la sphère publique. L’endroit est déserté de toute présence humaine. De l’autre, une foule compacte et anonyme déambule dans les rues du Caire. Des témoignages anecdotiques au sujet de combats de rue, moment de perte de contrôle total, ponctuent les vidéos. Les outils du pouvoir, qui tentent de contrôler le flot urbain, sont ici annihilés par les passants qui remarquent le regard de la caméra.
L’isolation et la « communion urbaine », les gestes que nous effectuons et qui nous définissent comme « personne publique », nos relations à notre environnement sont tous évoqués dans cet hommage à un étranger.

Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Xavier Testot sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.

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