Catherine Millet, Claire Margat, Anaël Pigeat, Christian Berst
Lancement d’Art Press 2. Les Mondes de l’art brut
L’art brut provient d’abord d’un regard porté sur des œuvres. Leurs dimensions psychopathologiques ou culturelles n’ont volontairement pas été prises en compte par Dubuffet. L’art brut doit sans doute être repensé, mais le mot «brut» peut continuer à désigner des formes artistiques et des attitudes existentielles très diverses, car il ne saurait y avoir une seule sorte d’altérité. Les mondes de l’art brut, ce sont d’abord les cosmogonies créées par ceux ou celles qui refusent de rester prisonniers d’un seul monde. C’est aussi l’affirmation du pluralisme des démarches des collectionneurs, des conservateurs de musées, des chercheurs et des critiques.
La mondialisation de l’art a permis, entre autres, la diffusion planétaire de la catégorie d’art brut. Loin de se dissoudre dans l’art outsider ou le folk art, elle se développe avec l’ouverture de nouveaux territoires à défricher en Europe de l’Est, en Amérique latine, en Asie. Et ici comme ailleurs, les singularités des mondes de l’art brut dessinent autant de poches de résistance contre l’acculturation globalisante. On s’aperçoit grâce à elles que le magique, le mythologique, le religieux sont irréductibles à l’universalisme culturel dominant.
La vitalité de l’art brut contemporain ne se contente pas d’occuper de nouveaux territoires, elle provient de son altérité, d’«exotismes partagés», car on ne peut dissocier le regard porté sur les autres de la conscience de notre propre étrangeté.
L’art brut n’est donc pas un épiphénomène, une mode passagère, c’est un ensemble de mouvements de déterritorialisation qui agitent le monde de l’art en profondeur.