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L’Amour, comment ça va?

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Les amours d’une époque sont traversées de mutations sociales et de crises économiques. Avant d’être aliénés par les relations amoureuses, les hommes sont aliénés par le monde dans lequel ils vivent, et la sphère privée est déterminée par cette scène publique.

Rien de plus semblable à travers les temps que les histoires d’amour. Prenant le parti d’interroger la singularité d’une époque, celle des trois dernières décennies, l’exposition met en perspective ses mœurs, ses conditions de vie, ses représentations symboliques des corps féminins et masculins, son rapport à la sexualité. Elle dresse la scène à partir de laquelle vont se jouer en coulisse des amours secrètes. Il y a très peu d’histoires d’amour dans cet ensemble, qui s’intéresse avant tout aux hommes et femmes d’une époque, en tant que produits d’une évolution sociale et politique.

L’exposition est organisée en trois parties.
La première, «Il pleut des pierres sur l’amour», dresse un tableau de la vie sociale d’une époque précarisée, marquée par le chômage et la disparition du monde paysan.
La deuxième, «Tisser de l’altérité», retrace sous ce titre dédié à l’altérité, la bataille pour l’égalité des sexes. Les mouvements féministes ont jeté à bas une image de la femme figée dans le foyer et la maternité, laissant béante la question «qu’est-ce qu’être une femme?».
La profusion de la troisième partie, «De l’amour à la subversion», est l’écho involontaire de la confusion engendrée par cette question sans réponse. A défaut de trouver son ancrage dans une représentation sociale, la sexualité s’abîme dans une perte de repères symboliques, et s’arrime à quelques revendications communautaires.

Les hommes qui aiment, ce sont aussi des hommes qui travaillent, qui sont modelés par leurs conditions de vie. La majeure partie de leur temps est consacrée à des tâches aliénantes, et on ne peut opérer de coupure entre les faces diurnes et nocturnes de ces vies fatiguées. On s’attend à voir des corps sensuels, à un érotisme un peu sulfureux, et on se confronte à la vision sordide des sorties d’usine. Il y a beaucoup de témoignages, de films, qui chacun nous immerge dans une certaine réalité historique. On cherche des visages transfigurés par l’amour, et on croise des yeux rougis par l’anxiété du chômage. C’est à ces êtres meurtris par la précarité économique qu’on demande comment va l’amour, et la question n’a rien du ton badin d’une conversation de bistrot.
Un court film de Bruno Muel raconte la vie d’un ouvrier rythmée par le travail à la chaîne. L’ouvrier penché toute la journée sur son ouvrage, hébété par la répétition mécanique d’un geste, rentre le soir brisé par la fatigue et la sollicitation. Ses mains engourdies n’ont plus leur agilité et leur douceur pour dégrafer une robe, et se livrer aux caresses.

Qu’ont de commun la féminité d’une secrétaire d’un grand bureau de PDG, et l’agricultrice campée dans ses bottes ? Les portraits de femmes, ce sont avant tout des portraits de différents types sociaux. Avant d’être brunes ou blondes, les femmes ont des corps marqués par leurs conditions de vie.
En s’ouvrant par cette thématique exclusivement sociale, l’exposition prend le contre-pied des attentes aguichées du spectateur. On s’apprête à saisir des étreintes, et on est surpris par le manque total de sensualité et d’érotisme des deux premiers tiers de l’exposition. Il y a très peu de relations affectives entre ces êtres isolés. Ce décalage distille un certain malaise: on voit à travers le prisme du corps amoureux des représentations d’hommes et de femmes au travail. Les œuvres rassemblées n’ont pas l’amour pour sujet, et le regard est biaisé par la mise en perspective. Cet infléchissement force à voir le corps sexué derrière le corps du chômeur, la femme nue sous son tailleur.

L’exposition s’agence autour d’un paradoxe implicite. Les mouvements féministes et les revendications du «droit à la sexualité» sont le récit d’une bataille, menée pour arracher le corps sexué à sa représentation sociale. Et pourtant, c’est de cette réalité sociale que part l’exposition pour se donner à penser le corps sexué, supposant qu’on ne peut dissocier sa part privée de son image publique. L’amour n’est pas ici envisagé comme une rencontre, une relation entre des êtres, mais du point de vue de ses conditions de viabilité historiques.

Philippe Lopparelli
Electropia, 1996-2004. Photo couleur.

Ouka Leele
Angela y Siro, 1984. Photo couleur.

Catherine Opie
Idexa, 1993. Photo couleur.

Flore-Aël Surun
Miguel, 16 ans, lycéen, 2003. Photo couleur.

Antoine d’Agata
Paris-France, 2002. Photo noir et blanc.

Philippe Desmazes
Non à l’homophobie et pour le PACS, 1999. Photo couleur.

Erwin Olaf
Cindy C, 78, série «Mature, 10 millenium pin-ups», 1999. Photo couleur.

Sylvie Blocher
La Sauteuse – Lapsus n°1, 2003. Installation vidéo. 3 fois 5 minutes en boucle.

Barbara Kruger
Sans titre (Love), 2001. Techniques mixtes.
Sans titre (Hate), 2001. Techniques mixtes.

Robert Heinecken
Shiva, the Lord Whose Half is Woman, 1990. Photo couleur.

Louise Oligny
Histoires sans bruit, 1996-1999. Photo noir et blanc.

Stéphanie de Boutray
Deuxième «Marche pour la vie», 1995. Photo noir et blanc.

Denis Darzacq
A chacun son Paris, 2004-2005. Photo couleur.

Olivier Coulange
Antonin, n.d. Photo noir et blanc.

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