Stéphane Calais
L’Amour
Comme la vie, les pièces de Stéphane Calais fonctionnent à l’énergie. Bien souvent l’artiste reprend, rectifie, ré-interroge ses propres pièces. Ainsi en est-il de « Maintenant/Now » (1997), une série de 36 lampes en papier suspendues qui à l’approche de toute présence enclenche autant de voix qui, dans mon souvenir, murmurent un poème requiem de Denis Cooper à un ami suicidé.
Cette oeuvre montrée à Reims, au Frac, il y a plus de dix ans, a ouvert mon approche du travail de Calais. Aussi pour « l’Amour », son exposition monographique au Crédac, reprend-il, pour de multiples raisons dont j’ignore un bon nombre, cette oeuvre réduite à 18 lampes et où le « design » des lampions s’est éclairci, où la transparence domine. L’enchantement, la douceur et la pudeur des lampions qui vibrent s’éloignent peu à peu de l’idée d’une fête foraine pour nous conduire, dix ans après, vers un univers de chapelle ! Mais je vais faire une diversion.
Notre première collaboration date d’une exposition organisée à New-York en 2002. Stéphane Calais, que j’avais invité à réaliser des pièces in situ dans un lieu industriel coincé entre le Brooklyn bridge et le Manhattan bridge, avait entre autres créé un mural noir et blanc, mélange de grille et de cible.
Ce grand mural de 4 x 3 m évoquait un mixte possible entre Bridget Riley et Victor Vasarely, rayé en son centre par l’artiste à coup de spray orange fluo.
L’année qui suivit, j’organisais comme première exposition collective au Crédac « La partie continue ». Cette fois, sur le grand mur de la grande salle (de ciné) du Crédac, Stéphane Calais reprit ce dessin avec un trait qui aurait subi une érosion. Le spray était devenu vert fluo, « Brooklyn style 2 ». Comme pour « Maintenant/Now », Stéphane Calais a re-insufflé une énergie nouvelle à « Brooklyn style ».
L’exposition qu’il orchestre au Crédac, s’articule en trois chapitres liés par une harmonie souterraine, un équilibre tendu. À la suite des lampions, Stéphane Calais met en exposition une sorte de machine à peindre.
C’est-à -dire qu’il déploie de grands lés de moquette blanche suspendus au plafond. Maculés de peinture noire, ils évoquent les carnets de dessin et le crayon noir. La brutalité de l’image est à l’aune du degré d’incision du trait de Calais.
La trivialité technique rejoint la finesse du trait de la série « M.H.S » (mythe, histoire, studio), dix dessins de 96 x 71 cm. Y sont dessinés des portraits: Dora Maar, Napoléon 3, Bismark, Ambroise Thomas, une inconnue, Loiseau de Persuis, George Sand, une vue de l’atelier de Calais…
Autant de motifs sans alibi, un rapport étroit à la figuration par la figure. Des sujets que Stéphane Calais qualifie de « sujets à ras », ténus, limites, libres.
Outre la qualité de son travail artistique, la singularité de son dessin et sa grande culture, Stéphane Calais apparaît aujourd’hui comme un artiste au langage plastique à la fois complexe, sophistiqué et trivial.
Un accord de force et d’élégance, entre « la dentellière et le chevalier ». Profondément marqué par l’histoire du dessin, mais également par l’histoire du design et de la littérature, son ami Pierre Staudenmeyer décrivait parfaitement l’essentiel de ce à quoi tient Calais: « Cet étrange brouillage qui va du sujet au sujet, une sorte d’allégresse furieuse et un peu amère (au sens culinaire) le caractère biographique des titres, ce savant mélange de l’enfantin figuratif et d’une précise technicité (celle par exemple de la rédaction des protocoles destinés aux collectionneurs) cette volonté de mise en évidence d’une conscience individuelle et de transformation du regard, ce sentiment ancré du « vrai » et de ses sources magiques ».
Dans la troisième salle, la plus petite, Stéphane Calais accroche « L’assassinat de Bruno Schulz », une toile de 2004 avec deux dessins de Pierre Joubert (1935) de sa collection personnelle.
C’est une véritable introduction, une antichambre à « La chambre de Schulz » pièce centrale de l’exposition. Au centre de la grande salle, retour au même endroit que « Brooklyn style », Stéphane Calais construit un pavillon de 4 x 4 m dont l’extérieur est entièrement recouvert de dessins. Certaines parties sont défoncées, détruites. Cette oeuvre joue d’un contraste fort avec les lampions légers et transparents du début du parcours, mais avec un sentiment similaire de présence/absence…
Lorsque Calais m’a dit un jour son intérêt de longue date pour l’écrivain et dessinateur juif polonais Bruno Schulz, il m’a raconté ce qu’il dû faire sous la menace du SS Félix Landau: la création d’un ensemble de fresques dans la chambre de son jeune fils. Cet ensemble retrouvé en 2001 en Ukraine, emporté en Israël, est un objet, une énigme qui habite Calais.
Trois murs sur quatre sont à ce jour invisibles. Comme il est impossible de toucher l’horreur, Calais ne reconstitue pas, ne réinterprète pas. C’est sa création qui sera visible.
Comme les dessinateurs de son panthéon, les Félicien Rops, Eric Stanton, Macherot par exemple qui, comme lui et comme Schulz avant eux, cristallisent avec simplicité des niveaux de fantasme et les mettent en image.
À cela s’ajoute la psychologie des contes de fées, cruels, des contes d’horreurs. La chambre de Schulz conduit à l’usure et à la perte. Comme dans ses oeuvres, ses peintures, ses installations, Calais ne cherche ni un prétexte, ni à faire un commentaire, mais davantage à poser et se poser la question du piège, du leurre, de la souricière. La question qui est levée est aussi une question sur l’Image.