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L’idée est simple. Un pas de deux hybride. Mais encore fallait-il y penser. Un danseur ou une danseuse se mesure à un objet ordinaire. Non seulement y penser mais le réaliser. Tout cela, en douceur, en délicatesse, en langueur. Une idée, aussi bonne soit-elle, n’a pas une valeur en soi, mais à l’échelle de l’histoire, de l’art…

À propos d’échelle, l’objet qui a retenu l’attention de la chorégraphe est de la même famille, puisqu’il s’agit d’un escabeau. Encore que, du fait de l’origine latine du mot, scabellum signifiant « petit banc », les étymologistes rangent cette espèce de marchepied dans la catégorie des sièges.

Certains metteurs en scène avaient déjà pensé à détourner cet outil de machiniste qui hante les théâtres et les studios pour en tirer des effets scénographiques. Le réalisateur de télévision Raoul Sangla, par exemple, qui avait pour règle éthique de dévoiler les coulisses du spectacle, en fit un élément de décor à part entière dans un Discorama des sixties où intervenait le rocker italien Adriano Celentano, partant du principe matérialiste que le studio n’a pas besoin de décor, qu’il est le décor. 

L’escabeau, appliqué à la danse, rappelle également le double escalier en bois que le claquettiste Bill Robinson transportait de ville en ville dans les années 20-30 et sur lequel il frappait ses fameuses routines au moyen seul de ses souliers ferrés.

Avec la pièce d’Éléonore Didier, cet accessoire vil, modeste mais utile s’élève dans la hiérarchie des objets. Non seulement il occupe singulièrement l’espace, à la manière d’un agrès de gymnastique (cheval d’arçon, barre fixe, barres parallèles ou asymétriques, on en passe…), et même d’un jouet docile ou caressant, mais il devient le partenaire privilégié du danseur livré à lui-même.

La chorégraphe et son interprète l’explorent et l’exploitent en tous sens, de façon peut-être un peu systématique, et tirent d’un engin basal le maximum d’effets plastiques. La difficulté étant de passer de l’exercice de style à l’œuvre structurée. L’un des problèmes à résoudre est, bien entendu, celui du rythme de la pièce.

Trop agitée pour une performance artistique « minimaliste », pas assez dépouillée pour certains — à cet égard, rappelons que Lucinda Childs décida, à un moment, en 1966, de laisser tomber les objets pour se concentrer sur le pur mouvement —, la pièce paraîtra austère, arythmique, monotone aux autres, aux impatients — il y en a toujours un, ce fut encore le cas ce soir-là, pour quitter la représentation en son milieu.

Pourtant, le danseur, (en l’occurrence, Lorenzo de Angelis), d’abord au sol, puis développant toutes les positions yogiques imaginables, qui vont de celle du fœtus à celle du lotus, en silence ou presque (une note grave et prolongée brise brièvement la tranquillité du déroulé), sûr de lui, du fait et geste de son art, matérialisera avec justesse la proposition d’Éléonore Didier.

Le titre de la pièce peut faire penser à une phrase de l’évangile assez ambiguë, surtout par les temps qui courent : « laissez venir à moi les petits enfants » (Matthieu, 19-4). Ainsi qu’à une devise libérale: « laisser venir, laisser faire ». En réalité, c’est à un rituel de séduction que se réfère Eléonore Didier, à un comportement qui hésite entre deux stratagèmes, l’agir et le subir. Le duo entre l’individu et son engin en aluminium passe par toutes les phases du fleuretage, du badinage, du batifolage. Il est question d’idylle, au sens large et païen du terme.

— Proposition: Éléonore Didier
— Interprètes: Ikue Nakagawa et Lorenzo de Angelis

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