L’art de John Cornu a cette force de l’imprévisible qui lui a permis au fil du temps d’explorer des approches clairement identifiées, sans que l’on puisse aujourd’hui lui appliquer une quelconque catégorisation. Ses travaux in situ ont longtemps été caractérisés par leur dimension contextuelle, liée à l’architecture du lieu, venant s’imbriquer souvent de manière parasitaire dans celui-ci de sorte qu’il était impossible de les déplacer.
Cette particularité tend de plus en plus à être contredite, c’est ici le cas avec Sans titre (2009-2011) qui occupe la première salle de l’exposition. Des tubes d’acier découpés et peints en noir sont reliés par des modules en T, permettant de créer une arborescence de lignes à angles droits en trois dimensions. L’œuvre est divisée en trois parties distinctes qui s’élèvent à proximité les unes des autres, avec suffisamment d’espace pour que les spectateurs puissent circuler autour de chacune d’elles.
L’artiste crée des réseaux dont les orientations lui sont dictées par la forme même des éléments utilisés. Leur vocation industrielle se voit alors détournée au profit d’une certaine poésie de l’aléatoire. Il n’en reste pas moins un aspect quelque peu menaçant, une brutalité sourde provoquée aussi bien par la nature des matériaux, le noir dont ils sont recouverts, que la rigidité géométrique de leurs angles.
Les dates qui sont inscrites à côté du titre, 2009-2011, indiquent que le principe de cette pièce est né il y a deux ans, mais qu’il s’agit ici d’une nouvelle occurrence. Si les œuvres tendent vers l’autonomisation, elles n’en restent pas moins reproduites différemment pour chaque nouvelle exposition, toujours pensées pour le lieu, mais plus forcément dépendantes de celui-ci.
Dans la veine de ses œuvres à la violence sous-jacente est également présentée Par la meurtrière (2011). Un cadre est accroché au mur, à l’intérieur une marie-louise recouvre tout l’espace excepté une fente verticale au centre qui laisse apparaître un miroir. Cette fine ouverture explicitement désignée par le titre évoque donc une meurtrière.
L’utilisation d’un élément à valeur défensive rappelle son installation Assis sur l’obstacle, présentée lors d’un récent Module au Palais de Tokyo, qui reprenait entre autres la forme des barrières anti-char de la Seconde Guerre mondiale. Faites en bois, elles adoptaient comme la «meurtrière» l’aspect du simulacre. Celle-ci reprend les codes de l’encadrement classique en en déjouant complètement la fonction. La marie-louise à la fonction protectrice s’apparente ici au pourtour d’une zone de tir dont le champ n’est autre que la place de l’œuvre d’art. En même temps, derrière l’ouverture se trouve un miroir et c’est alors le spectateur qui est pris pour cible lors de son face à face avec l’œuvre. Finalement, il est bien possible que ce soit son regard qui se trouve visé, menacé par le doute, encouragé à remettre en cause ses habitudes.
L’exposition se poursuit avec trois travaux qui introduisent plus clairement certaines des composantes essentielles du travail de John Cornu, à savoir les références aux grands paradigmes du modernisme, à l’art minimaliste et conceptuel, et les clins d’yeux plus directs à quelques éminents prédécesseurs.
D’abord Sonatine (2008-2011), pour laquelle un néon à l’alimentation électrique inadaptée émet de vifs soubresauts de lumière, dans le but d’accélérer sa perte. Le son des vibrations électriques est capté par un micro et diffusé sur un ampli de guitare.
Le néon posé au sol dans un coin de la pièce ne manque pas de rappeler des personnages majeurs de l’histoire de l’art comme Dan Flavin ou James Turrell. Ces «citations» sont opérées comme des hommages et des pistes de réflexion. Elles n’ont pas la valeur ironique ou déconstructrice mise en application par les artistes dits post-modernes sur le travail de leurs ainés.
Sonatine est à prendre plutôt comme une action mélancolique, l’amplification sonore de la mort d’un tube fluorescent en direct, condamné à s’éteindre d’un moment à l’autre à force de clignotements.
C’est la mort d’un courant de l’art minimal qui est rejouée, que l’on écoute agoniser par râles successifs. L’ampli de guitare Marshall utilisé ajoute une certaine touche rock’n roll à l’installation en pleine agonie, «too fast to live, too young to die».
Il y a ensuite La Pluie qui tombe (2009-2011), une pile d’affiches en libre service qui rappelle immanquablement les Stacks de Félix Gonzà lez-Torres. Lui-même utilisait les formes du minimalisme pour les amener à un résultat et une portée toute différente de leur fonction première.
L’image en noir et blanc qui est imprimée reprend une photographie de John Cornu tirée d’une série éponyme réalisée en 2009. La pluie est photographiée de nuit au flash en contre-plongée. Les gouttes frappées par la lumière et figées par la prise de vue, apparaissent comme des étoiles dans un ciel nocturne.
L’illusion est saisissante et seules les informations textuelles nous éclairent sur la vrai nature de l’image. Elle prend la forme du simulacre alors que le titre annonce sans piège la vérité. Réalité et fiction sont traitées d’égal à égal, comme si rien ne les séparait, comme si rien n’était vrai ou faux mais seulement là , en attente d’être vu à condition d’en faire l’effort.
Enfin, la hauteur de cette pile est destinée à évoluer avec le temps au gré de la soustraction des affiches par le public, sans aucun contrôle de l’artiste. Ce non-choix formel se retrouve dans une autre Å“uvre présente dans l’exposition, également nommée Sans titre (2011).
Des planches de bois peintes en noir d’environ deux mètres de hauteur, pour une largeur d’une quinzaine de centimètres, sont alignées verticalement contre le mur. Si la première est laissée intacte, les suivantes ont toutes été taillées en fonction des nÅ“uds du bois, en se laissant sinueusement guider par ses aspérités. L’artiste se met en retrait afin d’engager une création sous contrainte. Son action, auparavant déterminée par la composition de l’espace, se soumet avec ces planches à la physionomie du matériau. Le contexte pris en compte passe du contenant au contenu, du lieu à l’objet.
«Laisse venir».Le titre de l’exposition tiré d’une chanson de Baschung est peut-être aussi un conseil que l’artiste destine autant au spectateur qu’à lui-même. Dans sa quête d’expérimentation, John Cornu cherche de plus en plus à éviter une lisibilité trop évidente en préférant accumuler les couches de sens. Suivant une politique de l’intervention minimale, il agit comme un révélateur et nous encourage à regarder autrement les choses les plus simples.
Å’uvres
— John Cornu, Sans titre, 2009-2011. Tubes et modules en acier galvanisé, peinture
— John Cornu, Sonatine, 2008-2011. Tube fluorescent usagé et altéré, amplificateur
— John Cornu, Par la meurtrière, 2011. Cadre, marie-louise et miroir
— John Cornu, La pluie qui tombe, 2009-2011. Affiches noir et blanc en libre service
— John Cornu, Sans titre, 2011. Bois, peinture acrylique et cirage
— John Cornu, Assis sur l’obstacle, 2011. Bois, encre et cirage. Palais de Tokyo, Module 1