Interview
Par Caroline Lebrun
Inauguré en septembre 2003, Artcore a ouvert ses portes à l’art contemporain dans un hôtel particulier du XVIIe siècle, situé entre le Palais Royal et l’Opéra Garnier. La galerie occupe aujourd’hui le premier étage de la bâtisse et présente ses expositions dans les appartements où Jean-Baptiste Poquelin dit Molière s’est éteint en 1673. Une citation de son œuvre est inscrite au fronton de la galerie : « Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur, on ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur ». En gage de sincérité, Artcore raconte aussi l’histoire d’un coup de cœur et d’une bataille pour sauver la mémoire des lieux. Instigatrice et directrice du projet, Laila Tamer-Morael nous fait le récit de cette aventure.
Caroline Lebrun. La galerie occupe un lieu chargé d’histoire ancienne. Comment avez-vous réussi à y faire rentrer l’art contemporain ?
Laila Tamar-Morael. Cet hôtel particulier du XVIIème siècle était abandonné depuis dix ans. Nous avons eu la chance de trouver un accord avec les propriétaires : ils nous prêtent les locaux et nous les rénovons, peu à peu. Aujourd’hui nous avons réhabilité le rez-de-chaussée et le premier étage. Concernant le reste du bâtiment, nos projets sont en cours de discussion. Pour l’instant, la restauration est minimale : tout est simplement peint en blanc. Laisser les murs à l’état brut permet de mieux voir les marques du temps. Nous cherchons toujours à travailler en rapport ou en écho avec l’histoire des lieux. C’est une approche très française : ici, nous sommes engourdis par notre histoire. Notre objectif est d’inviter les artistes à faire revivre ces espaces décadents, sinon condamnés à l’oubli. L’exposition actuellement présentée à la galerie – intitulée Souviens-toi / Remember – explore la mémoire en imaginant la vie d’une femme qui aurait pu vivre en ces lieux. Cette idée proposée par Christian Aladete m’a tout de suite séduite.
En quoi Artcore constitue-t-il un lieu transversal, de quelle manière le définiriez-vous?
À la fois appartement, squat, centre d’art, galerie, le lieu se définit au long des rénovations successives de l’immeuble. Le logo d’Artcore créé par Gabriel Anastassios est d’ailleurs un véritable Work In Progress qui rend bien compte de l’évolution permanente de cet espace. On peut parler de lieu transversal car c’est une traversée de la culture internationale avec une ouverture sur l’extérieur et sur des formes d’art pas toujours reconnues. Lors de la première exposition, nous nous sommes par exemple intéressés au registre du court métrage, très rarement présenté. En fait, il est difficile de donner une définition car ma spécialisation est justement la non spécialisation, la pluridisciplinarité. Pour favoriser cette ouverture, nous pensons accueillir prochainement des ateliers d’enfants avec une approche pédagogique de l’art afin de montrer aux plus jeunes qu’on est aussi ici pour s’amuser !
Vous parlez d’ouverture : quels sont vos échanges avec l’extérieur?
J’ai moi-même vécu six ans aux Etats-Unis et j’ai travaillé au centre d’art contemporain PSOne de New-York avant de revenir m’installer en France. Nous avons besoin de nous ouvrir et nous continuons à le faire en présentant des artistes de différentes nationalités. Nous sommes en contact avec des galeries parisiennes et internationales et avons noué des partenariats avec la Shingshot Project Gallery à New-York et le Amata à Genève. Artcore est aussi relié à un projet d’espace culturel dans le nord de la France, à proximité de la Belgique et de l’Angleterre, au Château d’Esquelbecq. C’est la maison mère du projet, destinée à devenir un musée, une résidence d’artistes et un espace d’exposition d’art contemporain. Le musée s’attachera principalement à la dame d’Esquelbecq : la marquise de Berthisy, une figure excentrique de l’époque qui organisait de véritables orgies… L’ouverture du château est prévue le 9 juillet prochain
Est-ce la même équipe qui gère les deux espaces?
Oui, il s’agit d’un projet de famille. Ma mère est historienne d’art, mon père architecte. Le château d’Esquelbecq est une propriété familiale, aujourd’hui désertée. Le donjon s’est écroulé il y 20 ans. Nous souhaitons le rénover et lancer un concours d’architecture : notre bataille est de parvenir à faire revivre l’âme du lieu, à le réhabiliter pour l’ouvrir à nouveau au public. Mais un château est un puit sans fond, le défi de toute une vie. Artcore pour moi est une manière de mettre le pied à l’étrier et de faire connaître Esquelbecq à travers un projet.
En quoi Artcore constitue-t-il la plateforme commerciale du projet?
Les deux lieux joueront des rôles complémentaires. Artcore servira de plateforme commerciale en tant que lieu reconnu sur le marché de l’art et le château sera un lieu de création pour les artistes. Pour l’instant les bénéfices de la galerie ne permettent pas encore d’alimenter le château. Mais c’est l’énergie du projet que nous voulons partager avec Esquelbecq.
Pour monter vos expositions comment choisissez-vous les artistes?
Lorsque je suis revenue des Etats-Unis, j’ai repris contact avec des amis artistes que je connaissais à Paris et je me suis également intéressée à ce qui se passait dans les ateliers, les musées, la Cité des Arts….J’ai fait des choix à partir de mes relations mais aussi en accueillant les gens qui venaient vers moi. Je privilégie une approche familiale, conviviale : je fais confiance aux rencontres et je tiens aussi à présenter des artistes de rue. Notre but premier est d’ouvrir Artcore à la création émergente. C’est un investissement sur le futur. Depuis le début du projet, trois à quatre artistes reviennent régulièrement. Il y en a certains dont la sensibilité rejoint la mienne et que je pousse particulièrement à continuer. Je pense par exemple à Etienne de Fleurieu qui a participé à toutes nos expositions jusqu’à présent et qui a su s’incorporer et s’adapter à chaque thème que nous proposions.
Vos expositions s’organisent toujours autour d’un thème que vous choisissez?
Oui, la première mettait en avant la pluridisciplinarité en présentant un registre différent dans chaque pièce (la photographie, l’art vidéo, la sculpture, le dessin, le court-métrage…). La seconde s’articulait autour des « cabinets de dessin » en explorant la gravure sous toutes ses facettes (numérique, traditionnelle, clip vidéo…). Comme nous l’avons évoqué, celle qui est actuellement présentée interroge la mémoire autour de la vie d’une femme. Et la prochaine exposition s’intéressera au Street Art et au Post Graph en proposant une réponse au mouvement anti-pub. Lors des rendez-vous électroniques qui auront lieu en septembre, nous avons aussi l’intention de mettre en place une manifestation autour de la culture rêve. Intitulée Open Sources, celle-ci reprendra un mouvement qui remonte aux années 60.
Quelle est votre vision de l’art contemporain ? A Paris, les galeries fonctionnent souvent en circuit fermé, est-ce aussi le cas aux Etats-Unis où vous avez vécu plusieurs années?
Les règles à Paris et à New-York sont les mêmes. Le premier critère est toujours le CV de l’artiste : savoir d’où il vient, qui l’a déjà présenté, s’il est reconnu… On se fie d’abord au pedigree. Comme les musées, les galeries contribuent à une même mise en carcan des œuvres. Ici, je souhaite mettre en contact des artistes et des gens qui aiment l’art et qui prennent les personnes par le haut, pour les aider, plutôt que par le bas.
Quel est le public d’Artcore?
Nous avons un très grand public avec 400 à 500 personnes présentes à chaque vernissage. Notre public est lié à la fois à notre emplacement, à notre réseau personnel et à celui des artistes. Nous attirons des collectionneurs et aussi des acheteurs jeunes qui ont entre vingt et trente ans…Et nos plus grands mécènes sont bien sûr les propriétaires qui acceptent de nous prêter les lieux !