Jimmie Durham
Labyrinth
Le labyrinthe est en toi.
Au début de « Labyrinth », il y a la rencontre avec un arbre. Un hêtre tombé dans le parc de Strasbourg lors d’une tempête. Jimmie Durham le voit comme une grande carcasse, couchée sur le flanc. Pas d’a priori quant à l’usage qu’il peut en faire. Le tronc est couvert de déclarations gravées dans l’écorce par une succession de générations d’amoureux… Puis l’histoire de l’arbre se révèle à la menuiserie, où l’artiste le fait débiter en épaisses planches. Il découvre alors une nouvelle et complexe histoire. L’autopsie révèle sept balles d’arme à feu, restées fichées là au c¦ur de l’arbre depuis la seconde guerre mondiale. Plusieurs semblent avoir fini leur course dans le bois après avoir traversé un corps. Autour du cuivre et du plomb, un champignon s’est développé, des vers et insectes ont fait leur travail en creusant des galeries.
Jimmie Durham est arrivé à l’Atelier Calder avec cet arbre, dont il savait depuis longtemps devoir faire quelque chose. Il l’emmène dans la folie des hommes. Il prolonge la folie du monde. Oh, bien sûr, le problème pour un artiste face à une telle histoire est grand : et pourquoi pas exposer ce bois tel quel ? Ou alors, le trans-former. Le réparer, l’attaquer, en faire un monolithe ne renvoyant pas à l’Arcadie. Le faire parler – avec une voix de fou, la voix de l’insecte installé dans l’arbre, devenu dragon aliéné.
Les interventions à l’aquarelle, à la feuille d’or et au graphite, les flèches désignant les actions de l’artiste comme dans un ironique Making-Of, viennent faire délirer le labyrinthe. Des poèmes sont écrits. Des balles supplémentaires sont tirées. Comme avec le Saint-Frigo, il s’agit d’augmenter cette violence. Amplifier le geste initial. Rappeler aussi qu’avant la civilisation, il y avait déjà des hêtres dans la savane européenne.
L’artiste n’est pas un conservateur, ni un guérisseur : il emmène ce matériau dans un espace poétique et dément, dans la déraison de l’art. Fidèle à sa position anti-architecture, Jimmie Durham ne construit pas un labyrinthe : il le désigne dans les entrailles de l’arbre et, au-delà de la métaphore, en écho, dans nos propres tripes. Bien plutôt qu’à la dimension initiatique attachée en Europe à la figure du labyrinthe, il se réfère aux anciens arts divinatoires, qui amenaient à lire le futur dans les intestins d’un mouton éventré. Il n’y a aucune raison de faire ça. Sauf la folie des hommes.
Il y a toujours eu un monstre dans le labyrinthe. Cerveau, corps, boyaux sont nos propres dédales. Chacun doit se confronter à sa propre monstruosité. C’est la leçon de l’artefact dédalien démentiel de Jimmie Durham.
Pascal Beausse, mai 2007.
Article sur l’exposition dans paris-art.com
Pour lire l’article rédigé par Emmanuel Posnic, cliquez sur le lien ci-dessous.
critique
Labyrinth