ART | EXPO

L’absentéiste

12 Nov - 29 Jan 2005
Vernissage le 12 Nov 2004

Ensemble d’œuvres vidéo puisant leurs origines dans la sculpture et dans une expérience de l’espace et de la matière. Ses créations questionnent le rôle du spectateur, situé entre son propre voyeurisme et l’obscénité de la caméra. Elles dépassent des tabous pour en révéler d’autres plus insidieux.

Communiqué de presse

Artur Zmijewski

L’absentéiste

Depuis 1996, Artur Zmijewski développe un ensemble d’œuvres vidéo avec des durées et des formats différents. Ce travail a son origine dans la sculpture, dans une expérience de l’espace et de la matière. La persistance de son approche de la forme et du contenu, traduit un parcours qui n’emploie pas les standards de la fiction et du documentaire. Ses vidéos, même si elles se conforment aux normes des appareils qui les diffusent (il ne propose pas à proprement parler d’installation vidéo) arrivent à s’affirmer comme des objets. Ses films bousculent les conventions médiatiques qui préconisent un montage rapide, une image rythmée et une forme didactique. Leurs structures révèlent en les employant, les règles de notre éducation à la fiction et à l’information.
Le sombre et secret objectif de l’école est de développer l’habitude du consentement, de donner la capacité d’absorber l’éducation et le plus important, d’instiller des stéréotypes. (…) Le statut de l’artiste est celui d’un absentéiste qui s’excuse lui-même pour ses devoirs d’écoles. Jouer à l’absentéiste —parfait. (…) Pour moi, l’art est de jouer à l’absentéiste – une activité cognitive, sensible, en dehors du devoir commun.“*

Artur Zmijewski prend à contre-pied les stratégies de séduction du cinéma et de la télévision. Ses films questionnent le rôle du spectateur. Ils confrontent le regardeur à son comportement voyeur, et dans le même temps, ils dévoilent les penchants obscènes de tous films ou de toutes émissions télévisées. Artur Zmijewski place son sujet, entre le voyeurisme du spectateur et l’obscénité de la caméra. En filmant comme des objets, les corps inertes de tétraplégiques, de personnes aux membres amputés, il dépasse les tabous stéréotypés de notre société pour en révéler d’autres plus insidieux qui se situent dans la façon dont on gère, notre appétit d’images, nos goûts, nos dégoûts et notre compassion. Le trajet narratif est donc inversé chez Artur Zmijewski, aucun signe ne vient vous séduire pour entrer dans ses films, au contraire tout est cruellement livré par la technologie de la caméra. Le spectateur fait face à une conclusion. Si le spectateur accepte de faire le parcours qui mène à ce choc, il comprend le projet terriblement humain de l’artiste qui est de s’approcher de son sujet, au risque de se perdre avec lui dans son histoire, de se faire traverser par sa réalité.
«Je ne suis pas intéressé par un objet dont l’objectif est d’être autosuffisant. Je m’intéresse à un objet handicapé, immature qui demande du soin et de l’attention —l’activité de l’artiste, son savoir, est un acte de réinvestissement qui constamment rétabli le sens de l’objet. Un objet qui n’est pas autosuffisant développe une symbiose artistique avec l’artiste et sa pensée comme avec celle du spectateur. Il cesse d’être un objet. Il devient un amalgame d’objet et de sujet plus ou moins- un objet mental.»
La méthode d’Artur Zmijewski vise à actualiser des situations sociales, à relier des histoires personnelles et des histoires communes qui sont ordinairement séparées.

Dans Botanical Garden (1997), il associe les gestes d’un enfant atteint de mongolisme et ceux d’un singe vivant dans le zoo voisin, confondant ainsi, l’humanité et l’animalité dans un même élan agressif. Le film KR WP (2000), est dans sa première partie tourné à l’extérieur, une garnison de soldat répète un chant et un défilé militaire. Il les filme ensuite à l’intérieur, nus, déshabillés de leur uniforme. Avec leur seule arme à l’épaule, les soldats vulnérables poursuivent leur exercice en laissant l’érotisme de leur corps remplir de désordre leur mission. Our Song Book (2003), fait la chronique de l’histoire non assumée des relations entre la Pologne et Israël. Dans un hôpital, il montre les derniers témoins de l’exil de la dernière guerre mondiale, faire un exercice de mémoire qui s’avère laborieux, la dégénérescence physique plonge l’histoire dans l’oubli. Dans The Game of Tag (1999), un groupe d’individu de toute génération, joue nu avec un mélange de joie et de gène à un jeu qui consiste à se déplacer en permanence dans une pièce et à s’éliminer en se touchant. On apprend à la fin du film que les scènes sont tournées en Pologne dans une cave d’immeuble et dans une ancienne chambre à gaz d’un camp de concentration nazi. Le décor du jeu social, le cadre de cette compétition interfère avec la représentation du groupe, le contexte social recèle des zones d’ombres et une histoire non résolue. Dans Singing Lesson (2001), Artur Zmijewski réunit une chorale improbable d’enfants sourds et muets qui chantent : Dans ce magnifique lieu, haut lieu, notre voix s’élève vers Toi et surgit comme une vague venant d’un abîme profond. O christ, entends nous!, écoute nous!“. La tessiture des sons produits par les enfants accompagnés par un orgue, l’expression des visages sur fond de colonnades et de peintures religieuses, donne à ce film une puissance incomparable et montre que l’égalité n’est qu’un slogan politique devant la complexité de certaines vies intérieures. Singing Lesson 2 (2002), reprend ce travail à Leipzig, dans l’église de Jean-Sébastien Bach, symbole de la haute culture allemande, une culture occidentale paradoxale qui porte en elle la mémoire d’un régime qui a envoyé des individus sourds et muets à la mort à cause de leur handicap. Le montage de ces leçons de chants, tournées l’une et l’autre dans une église, est porté par l’architecture protectrice et puissante de ces lieux. Le caractère sacré, donné aux plans en contre plongé des jeunes sourds dans ce décor, nous remémore avec une violence contenue que l’église refusait aux sourds et muets le Saint Sacrement. L’amalgame entre objet et sujet, l’objet mental que propose Artur Zmijewski est une réflexion sur les formes de représentation. Il modifie les concepts de narration, d’information et de fiction, en les posant en termes de perception. Le handicap et la maladie sont des accidents qui permettent d’accéder à d’autres niveaux de réalité. La catastrophe est omniprésente dans le travail d’Artur Zmijewski, elle est le déclencheur qui créé une fiction personnelle, le symptôme d’une vision modifiée du réel. Artur Zmijewski écrit ses scripts en suivant le récit de cette catastrophe, accède à la fiction en se plaçant au plus près de la perception de la réalité de son sujet.

An Eye for an Eye (1998) et Out for a Walk (2001), nous invite à suivre la promenade d’un homme amputé et d’un homme paralysé. Grâce à un autre homme qui les aide à marcher, ils essaient sans vraiment y parvenir, de quitter le niveau de perception de leur fauteuil et l’inertie de leur corps. Les efforts que l’homme doit fournir pour maintenir ces malades debout rejoignent ceux qu’Artur Zmijewski manifeste pour rendre visible leur façon de voir le monde. Lisa (2003), Lisa est le portrait d’une jeune femme allemande qu’Artur Zmijewski a rencontrée en Israël, elle prétend être la réincarnation d’un jeune garçon mort dans les camps d’extermination de la seconde guerre mondiale. Elle raconte et fabrique son histoire dans le même temps, à la fois auteur, metteur en scène, actrice et spectatrice de sa fiction personnelle, elle représente le traumatisme d’une culture qui génère sa propre destruction. Envahie par l’histoire de sa nation, elle tente de construire la sienne, en vain. Karolina (2003), est un film sur une jeune femme condamnée, atteinte de la maladie des os de verre et qui vient volontairement d’arrêter son traitement anesthésiant. Filmée allongée sur son lit, elle exprime ce qu’elle ressent de nouveau, avant sa disparition certaine.
L’objet est une prison de la perception. L’exagération peut certainement générer une certaine expérience visuelle —peut-être— le but de cette expérience est de donner une référence et de nous conduire vers un nouveau domaine de réflexion, c’est le plus important. Cependant, paradoxalement ce domaine est souvent conditionné par le savoir.

Dans Our Song Book, la recherche par des personnes âgées d’une chanson enfouie dans leur souvenir d’enfance, projette sur leurs visages vieillis les traces d’une mémoire périssable. Dans Singing Lesson, les regards vifs des jeunes sourds pendant qu’ils exécutent mentalement Bach laisse imaginer un monde et une beauté intérieure inconnus. Avec LSD, Peytol, Magic Mushrooms et Hypnose (2003) Hashish et Truth Serum (2004), une série de films tournés en collaboration avec Pawel Althamer.
Artur Zmijewski propose une nouvelle série d’images mentales. Elèves de Grezgor Kowalski, les deux artistes mettent ensemble radicalement en pratique des notions enseignées par leur professeur en l’invitant à y participer. Chaque film tourné par Artur Zmijewski correspond pour Pawel Althamer, à la prise de différentes substances hallucinogènes et à la participation à des séances d’hypnose. Le scénario est soumis à l’évolution aléatoire des produits sur Pawel Althamer et à l’action de l’hypnotiseur sur lui. Le portrait de Lisa cherchait à capter sur son visage les signes de la fiction qu’elle se construit. Avec cette série, Artur Zmijewski suit le processus de formation des images intérieures de Pawel Althamer. Ici ce n’est pas un traumatisme, une maladie qui active le scénario, ce sont des substances artificielles, naturelles et une tierce personne qui modifient la perception du monde. Dans cette série s’intercale un film, Weronika, l’enfant de Pawel Althamer. Sa perception des choses guide le tournage réalisé par les artistes, l’enfant laisse entrevoir son univers étrange et fusionnel. Aujourd’hui, alors que le cadavre du père de la peinture est réduit en poussière depuis longtemps, la peinture ne représente plus personne. Ainsi, maintenant, à l’heure de l«inflation» des visages avec la photographie, la télévision, la vidéo, etc…Le portrait a une signification différente. Cela a pour conséquence que l’identité est rendue confuse et brouillée au lieu d’être éclairée. (..) Il y a trop de visages dans notre mémoire pour être capable d’agir avec l’émotion qui convient à la situation.“* Le projet artistique d’Artur Zmijewski est une réponse évidente au phénomène d’implosion,de la fiction, de l’information, du documentaire, créé par les normes sauvages de la télévision commerciale. Ses films font remonter à la surface des écrans les relents d’une mémoire non résolue et les séquelles des programmes politiques et religieux. Artur Zmijewski a choisi d’être un absentéiste, pour retrouver ailleurs l’image d’une présence. Pierre Bal-Blanc
*Extraits tirés de Favourite theory of art, Artur Zmijewski, in Magazyn Sztuki, 1995. Trad. P. Bal-Blanc

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