— Directeur de la rédaction : Jocelyn Maixent
— Éditeur : La Voix du regard
— Parution : automne 2002
— Format : 26,50 x 19,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en noir et blanc
— Pages : 272
— Langue : français
— ISBN : 2-9518801-0-3
— Prix : 20 €
Réversibilité
par Jocelyn Maixent (extrait, p. 2)
En ouverture de ce numéro, le lecteur retrouvera quelques icônes balisées de l’obscénité : l’Å“il de Georges Bataille, la Lolita de Nabokov, le nu fétiche et ses blasons. Car c’est avant tout du corps qu’il s’agit : la seconde section de ce numéro s’attache à montrer que les mises en scène de l’organique constituent la matière première de l’obscénité. Ce rapport consubstantiel du corps à l’image nous permet au passage de nous interroger sur la pornographie ; deux entretiens, l’un avec Ovidie, l’autre avec Bertrand Bonello, offrent une distinction nette entre obscénité et pornographie, deux termes abusivement confondus. Dégager la spécificité de l’obscène nous conduit à plonger au cÅ“ur de sa relativité, sur laquelle insiste Serge Tisseron dans l’entretien qu’il nous a accordé, tout en faisant ressortir l’un des seuls critères permettant de fixer l’identité de l’obscène : son incapacité à se métaphoriser. Où l’on voit l’importance du contexte dans le sentiment créé chez le regardant par l’artiste, à partir du corps-matière : grâce au gros plan notamment, les cinéastes dirigent le regard vers l’obscénité, un peu comme Hitchcock avouait faire dans Psychose « de la direction de spectateur ». L’obscène constitue donc avant tout un acte d’auteur. il fait signe au plein sens du terme et demeure intimement lié à la création même. L’avant-dernière section de ce numéro montre comment l’artiste s’affranchit peu à peu de l’obscénité en tant que thème pour en faire un geste, un manifeste, plus qu’une image. D’où, dans ce numéro, quelques Å“uvres originales qui font l’obscène plus qu’elles ne le commentent : en lisant l’acharnement au combat de Tyrsoh et Myrta sous la plume de Xavier Malbreil, l’écriture convulsive d’un extrait d’Antonin Artaud inédit en revue, en regardant les « reconstitutions » sanglantes de Sygrid Guillemot-Thach, le lecteur fera l’expérience de l’obscène.
Mais il apparaît clairement, au fil de ce numéro, que l’obscène, à force de relativité, peut en venir à se banaliser ; il ne fait plus peur à personne, au point qu’Estelle Artus, dans un texte piétinant quelques solides préjugés, estime que la notion a beaucoup perdu de son sens et a même déserté le champ de l’art. Se fait ainsi jour une étonnante, voire inquiétante légèreté de l’obscénité, qui désengage finalement le spectateur en faisant de l’ignoble un constituant omniprésent de son paysage, voire l’objet de mascarades et de parodies. C’est à ce titre que l’acte redevient image et peut verser dans une certaine complaisance. À vouloir éviter à toute force le discours moralisateur, on s’interdit peut-être tout bonnement l’exercice du jugement moral, qui en l’espèce n’a pourtant rien d’illégitime en ceci qu’il permet de prendre en compte la puissance contemporaine de diffusion des images: dès lors qu’elle croise l’industrie du spectacle, la posture obscène suscite des instincts trop ambigus pour ne pas faire question. L’invasion souvent gratuite de l’espace public par les images et les messages obscènes pose plus que jamais le problème de la responsabilité éditoriale, tant il est vrai que l’usage même de l’obscène dans l’espace public constitue l’obscène lui-même. La représentation obscène du monde ne participe-t-elle pas à une « obscénisation » de ce monde ? Ne joue-t-on pas aujourd’hui de l’ignoble comme on offrait naguère au peuple du pain et des jeux ? La vraie obscénité contemporaine est peut-être plus immatérielle et moins saisissable qu’il y paraît, désertant la scène de la représentation pour prendre place dans ses coulisses.
(Texte publié avec l’aimable autorisation de Jocelyn Maixent)