ART | CRITIQUE

La vie aquatique

25 Mar - 18 Juin 2017
PFrançois Salmeron
@24 Avr 2017

« La vie aquatique » part d’une thématique grand public, la mer, et d’images attendues pour poser un regard critique sur notre relation à l’environnement. Au fil du parcours, l’exposition gagne en épaisseur et offre une multitude de perspectives sur la mer: documentaire, cartographie, océanographie, histoire du colonialisme, mythologie, écologie et économie.

Le Mrac de Sérignan nous habitue à des clins d’œil cinématographiques dans les titres de ses expositions depuis «Se souvenir des belles choses», et nous propose ici un parcours riche en vidéos autour des flots et des paysages maritimes. Mais plus qu’une promenade ludique ou romantique jouant sur notre imaginaire et des clichés éculés (l’horizon, le sable, les flots déchainés, sirène, pieuvre et monstres marins…), «La vie aquatique» pastiche parfois l’imagerie des documentaires animaliers, tout comme le film de Wes Anderson tourne en dérision la vie du commandant Cousteau sous les traits de l’acteur Bill Murray.

Quelle relation à notre environnement ?

On ne rencontre aucune cimaise au rez-de-chaussée du Mrac, et l’espace de l’exposition s’étend face à nous, ouvert comme un horizon. «La vie aquatique» se déploie en trois moments: les paradoxes du naturel et de l’artificiel, un focus consacré à la vidéo où la musique occupe une part importante, et enfin des réflexions politiques, économiques et écologiques autour de notre rapport à la mer. L’exposition semble ainsi se densifier au fil des œuvres parcourues. On part d’une thématique grand public, d’images attendues (aquarium, plage, mer, animaux sous-marins, etc.), pour poser finalement un regard critique sur notre relation à l’environnement.

Dans un premier temps, Piero Gilardi nous offre un bout de rêve: un morceau de plage artificielle, qui apparait comme une sorte de paysage «sous vide», stéréotypé, présenté à travers une vitrine. Les très belles photos noir et blanc de Jochen Lempert font face aux cartes et roses des vents bleues de David Renaud. Mais plus que de rester sur le rivage ou à la surface des flots, l’exposition nous plonge dans les tréfonds marins.

Explorer les fonds marins

On change alors d’échelle avec le coquillage géant et la pieuvre en papier mâché de Laurent Le Deunff. Plus étonnantes encore, les vidéos de Shimabuku et d’Aurélien Froment nous mettent face à un hippocampe hybride et au ballet d’une méduse, parodiant en cela les documentaires animaliers. L’atmosphère s’y fait plus sombre, et l’on observe encore les aquariums d’Hicham Berrada laissant bien supposer que l’exposition interroge à la fois le regard que l’on porte sur la mer, les représentations et les symboles que l’on s’en fait, et les nombreux artifices convoqués par les hommes dans le milieu marin (les mappemondes, les boussoles, les aquariums, et la mer comprise comme un biotope humanisé).

«La vie aquatique» nous immerge ensuite dans un cycle vidéo. On découvre deux œuvres poétiques de Maria Laet, l’une dans laquelle l’artiste coud la plage, geste absurde mais fascinant, l’autre où résonnent les vibrations d’un joueur de tuba, dont les ondes sonores se répandent dans l’exposition comme une corne de brume. La musique est également omniprésente chez Marcos Avila Forero, qui filme de jeunes gens communiant dans un fleuve, frappant en chœur sa surface comme des percussions, et chez Hannah Wilke qui tente de défaire, sur un fond de musique rock, les stéréotypes du corps féminin en incarnant une sirène glamour prisonnière d’un aquarium.

L’exposition gagne en épaisseur avec la vidéo d’Enrique Ramirez. Derrière les flots froids et remuants de l’Atlantique, l’artiste évoque la dictature chilienne de Pinochet, qui balançait depuis des hélicoptères les corps des dissidents politiques dans l’océan. L’œuvre de Mehdi Melhaoui se rend sensible aux flux migratoires méditerranéens, tandis qu’Ellen Gallagher nous rappelle dans ses peintures que la mer rime avec cimetière. En tant qu’océanographe, elle convoque le terme de «whale fall» pour désigner l’écosystème qui se déploie au fond des mers lorsqu’un cadavre de baleine y sombre. D’autre part, elle se réfère au mythe de Drexciya, selon lequel les descendants des femmes esclaves africaines, que les marchands négriers jetaient par-dessus bord, auraient fondé une Atlantide noire au fond des mers.

Ecologie et économie

Les abysses fascinent ainsi les humains, à l’instar de Simon Faithfull qui s’essaie à la marche sous-marine! Mais la surface des flots réapparait aussitôt avec l’installation de Maarten Vanden Eynde, immense conglomérat de déchets plastiques, dont l’apparence, paradoxalement, ressemble à des coraux noirâtres. La question écologique, à travers le «sixième continent» nous remet alors les pieds sur terre.

Pastiche de documentaire, cartographie, océanographie, histoire du colonialisme, mythologie, écologie… l’exposition offre donc une multitude de perspectives sur notre rapport à la mer. Et se conclut avec un extrait du formidable essai vidéo d’Allan Sekula, The Lottery of the Sea, où l’artiste commente les théories d’Adam Smith, selon lesquelles l’économie maritime serait le prototype du marché mondial, et les pécheurs l’archétype des travailleurs. Comme dans son œuvre photographique, Allan Sekula démonte avec maestria les présupposés idéologiques du capitalisme. Il en souligne le cynisme, les limites et les manœuvres qui tendent à produire toujours davantage de richesses, au détriment de la planète et de nous-mêmes.

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