Présentation
Manuela Marques, Sergio Mah, Michel Poivert
La taille de ce vent est un triangle dans l’eau
La taille de ce vent est un triangle dans l’eau est une monographie qui réunit les travaux récents de Manuela Marques. Les photographies de ce livre, sans qu’elles n’obéissent à aucun mouvement thématique, chronologique ou narratif, expérimentent des relations, des déplacements, et rapprochements entre réalité et image.
Elles explorent un vaste éventail de sujets: arbres, pierres, matières organiques, visages, mains, gestes, détails architecturaux ou fragments de nature. Habituée à rapprocher des registres d’images de différentes natures et à créer des situations photographiques spécifiques, Manuela Marques, par la formulation plastique de son travail, tend à mettre en doute ce que, nous, spectateur, percevons d’une réalité.
«Le travail de Manuela Marques s’inscrit bel et bien dans les pratiques contemporaines de l’image qui sont fortement liées à l’expression poétique, à l’exercice spéculatif et fictionnel, et font appel au caractère indéterminé des Å“uvres, à la réflexivité et au sensible. Il s’agit de formes et de moyens légitimes (et nécessaires) de représenter et d’interpeller notre expérience de la réalité. Cette tendance préfigure, pourrait-on dire, la nécessité de libérer l’image d’une appréciation façonnée par «l’étalon de l’être», de la ressemblance et du vrai — simplement parce que l’image n’est jamais vraie —, pour intensifier son caractère fondamentalement dynamique, mobile et expressif. Examiner alors la dialectique entre le visible et l’invisible, entre le matériel et l’immatériel, entre le réel et le virtuel dans l’image implique de souligner les puissances à l’œuvre dans la réception de l’image […].
La relation au temps est en effet une autre spécificité de ces images. Chaque photographie présente une interruption temporelle, mais ici l’arrêt n’est jamais soudain, inattendu et accidentel. Les instants semblent être le corollaire d’une durée, d’une attente, d’une formation graduelle et lente. On comprend jusqu’à quel point l’effet de suspension et de fixation — l’une des propriétés premières du «photographique» —, n’est pas une qualité fermée dans l’image (arrêtée et unique), car il n’exclut pas l’expérience d’une certaine durée, surtout à partir de la projection imaginaire de l’image considérée comme une possibilité extrêmement créative. Par conséquent, la photographie nous place devant ce double sens: d’un côté, elle suspend le mouvement, en pétrifiant le réel; d’un autre côté, elle montre que l’immobilité est une impossibilité relative, car l’instant est vivant en temps et en mouvement, celui que l’œil et l’esprit expérimentent à chaque fois que la fixité les provoque.
Le statisme dans les photographies de Manuela Marques peut alors être compris comme une exploration de l’impermanence des images, où, au-delà de leur qualité spécifique, elle remplissent une fonction heuristique, à la recherche d’une autre compréhension de la nature des choses, privilégiant ce mouvement tâtonnant où la vision se suspend et se libère à la fois, pour stimuler l’imagination et la mémoire. Ainsi, la photographie convoque l’art d’explorer la double poétique de l’image, en faisant de ses images simultanément ou séparément deux choses: les témoins visibles d’une cohabitation localisée avec les espaces, les objets et les corps; et de purs blocs de visibilité, imperméables à toute narration, à toute traversée de sens.»
Sergio Mah
Cette monographie est publiée à l’occasion de l’exposition éponyme présentée à Paris à la Fondation Calouste Gulbenkian (avril-juillet 2014) et au Centre régional de la photographie Nord-Pas-de-Calais à Douchy-les-Mines (décembre 2014-février 2015).