«La Règle du jeu» rassemble dans le nouvel espace de Chantal Crousel une quinzaine d’artistes de la galerie pour un accrochage assez hétéroclite, qui trouve sa justification dans la référence du titre à un film de Renoir: comme les personnages du cinéaste, ces œuvres disparates réunies un en même lieu tisseraient entre elles un réseau de «liaisons inattendues».
Quoi qu’il en soit, les deux installations de Thomas Hirschhorn sont les premières à bénéficier de ces juxtapositions fortuites, grâce à leur qualité certes, mais aussi à leur taille, mieux proportionnée aux dimensions de la salle d’exposition.
D’un côté, un alignement de «trapèzes-tables» percées de centaines de gros clous; de l’autre une vitrine où s’entassent des têtes de mannequins augmentées d’étranges protubérances, où l’on retrouve aussi des morceaux de bois criblés de clous, le tout flanqué de slogans lapidaires, au ton prophétique, militant ou loufoque (c’est selon).
S’il émane de ces assemblages à la fois pauvres et baroques une certaine poésie formelle, le spectateur est toutefois pris à partie très directement. Obsessionnels et violemment expressifs, ces objets déformés, hérissés, blessés, peuvent se vivre sur plusieurs modes, du plus caustique au plus douloureux.
La dimension politique se manifeste plus nettement dans les œuvres de Claire Fontaine et de Fabrice Gygi, non loin l’une de l’autre. Ready-made chacune à leur manière, elles inscrivent au cœur des objets les plus fonctionnels (deux poubelles publiques «Vigipirate», un «suspension tool») l’image retorse du pouvoir : évocation du terrorisme d’État chez Claire Fontaine, latence sado-maso chez Fabrice Gygi.
Sur le mur opposé, des toiles sont alignées; à côté de celles d’Alain Séchas ou de Martin Kippenberger, et dans un genre moins pictural, Untitled de Seth Price est une plaque de verre fêlée qui a gardé en creux l’empreinte d’une corde nouée: moins un moulage qu’un impact.
Clément Rodzielski compose lui à partir d’un fragment de papier peint aux accents printaniers: le cliché rose et azur, adossé à un pilier, bascule dans le flou et l’abstrait.
Dans un tout autre esprit, les œuvres de Virginia Overton et de Heimo Zobernig cherchent timidement à apposer leur marque sur ce nouvel espace. La première a maquillé quelques néons du plafond en tubes fluos zébrés de noir, tandis que les panneaux modulables du second tentent de structurer, de remodeler cette salle tout en longueur et d’un seul tenant.
Peut-être aurait-il fallu justement que cette exposition prenne mieux la mesure de cet espace, ici réduit à un rôle de vitrine annexe de la galerie. Les contraintes d’une inauguration (et la concomitance de la Fiac) expliquent sans doute le caractère un peu fade de cet accrochage, dont le titre-référence s’avère moins un programme qu’un prétexte.
Il n’empêche, les dimensions du lieu, son aspect brut, liés à son ancienne fonction d’entrepôt, le prédisposent bien au rôle souhaité par Chantal Crousel et Niklas Svennung : une sorte de supra-galerie, plus audacieuse, plus réactive, apte à accueillir des événements et des travaux ambitieux — on attend la démonstration.
— Thomas Hirschhorn, Trapèze-table avec clous, 2006. 16 tables en mélaminé et métal, clous. 80 x 120 x 53 cm.
— Thomas Hirschhorn, Table vitrine (clous), 2007. 8 têtes de mannequins, bois, clous, imprimés, plexiglas, néons. 137 x 207 x 121 cm.
— Claire Fontaine, Les Refusés, V.I, 2007. 2 poubelles Vigipirate, sacs poubelle, bouteilles en plastique, bouchons et eau. Dimensions variables.
— Fabrice Gygi, Suspension Tool, 2008. Acier détrempé, nylon, carbone, cuir. 120 x 30 x 20 cm.
— Seth Price, Untitled, 2010. Empreinte de cordes, encre figée par UV sur polystyrène, choc thermoformé par le vide. 243,8 x 121,9 cm.
— Clément Rodzielski, Untitled (Printemps II), 2010. Morceau de papier-peint sur médium peint. 180 x 380 cm.
— Viviane Overton, Untitled, 2010. Impression jet d’encre sur polyéthylène, luminaire fluorescent. 134,6 x 8,9 cm.
— Heimo Zobernig, Untitled, 2008. Installation. 213,4 x 101,6 cm chaque