Julien Crépieux, Stéphane Graff, Laurent Grasso, Bertrand Lamarche, Stéphane Thidet
La Quatrième Dimension
Le titre fait référence à une série télévisée américaine de science-fiction écrite par Rod Serling dans les années 1960 (The Twilight Zone) dans laquelle de petites histoires en apparence banales basculent dans le domaine du surnaturel grâce au puissant pouvoir de l’imagination et du suspens.
La programmation vidéo donne ainsi la part belle à l’inquiétante étrangeté qui peut jaillir du quotidien.
Tantôt ouvertes sur l’espace d’exposition, tantôt repliées dans une Black Box, les projections vidéo fonctionnent comme autant de portes s’ouvrant «de l’autre côté du miroir» (Lewis Caroll). Elles injectent de la magie et du merveilleux à l’ère objective et rationnelle du «tout contrôle».
Elles mettent en doute les principes de réalité et de vraisemblance, relativisent notre rapport au temps et à l’espace, utilisent le pouvoir des images pour mieux réinterroger les modes de perception et de croyance qui sous-tendent notre société.
À l’heure du marasme ambiant entre le flop d’une fin du monde et une crise globale de notre système, ces artistes ont choisi de délaisser le constat distancié et cynique au profit d’une réévaluation d’un merveilleux partout incrusté dans notre réalité. À partir de détails anodins, l’imagination peut prendre le dessus et alors, tout devient possible.
« Vous allez pénétrer dans une autre Dimension, élargir votre cadre de vie habituel et déboucher dans une zone où la réalité peut à tout instant basculer dans le Fantastique. Attention! Vous entrez dans la Quatrième Dimension!» (Rod Serling)
Dans les vidéos présentées, l’impression de basculement ou de renversement est toujours latente. Le suspense est sourd et pesant. Il naît d’une forme d’inquiétante étrangeté surgissant de la banalité quotidienne. Un tourne-disque prend l’allure d’une soucoupe volante ou d’une immense lame de scie circulaire.
Le jardin d’une villa devient le décor d’un théâtre étrange. Un célèbre film de Samuel Fuller est projeté à travers les yeux d’un autre (ceux de l’artiste). De splendides paysages côtiers basculent dans le domaine de la surveillance omnipotente. Un artiste se prend pour un savant fou sorti tout droit des années cinquante et fait de son modèle un sujet d’expériences.
Ici, l’étrange rejoint le fantastique. On y voit des expériences surnaturelles et des phénomènes paranormaux… L’imagination, l’émerveillement et la divagation sont sans cesse sollicités.
Il est toujours difficile de présenter des œuvres vidéographiques, même dans une enceinte muséale, même à une époque dominée par les images animées, tant la question de la visibilité et du temps de lecture d’une œuvre est problématique. Ces contraintes sont assimilées par les artistes qui proposent des dispositifs scéniques et s’interrogent dans leurs réalisations sur les codes de perception.
À l’image des arts de la scène, la vidéo s’appréhende dans le temps et dans l’espace. La durée et le lieu conditionnent sa réception. Des aménagements particuliers favorisant des états d’attentions privilégiés ont été réalisés. Des Black Box facilitent l’immersion du spectateur et le coupent de l’extérieur.
En écho à l’intériorité de ces salles de projection juxtaposées les unes aux autres, d’autres s’ouvrent sur l’architecture et invitent à la déambulation. Chaque univers est différent de l’autre et pourtant de nombreuses arborescences les connectent.
Comme en écho à la théorie de la relativité ou au rayonnement de l’énergie fossile, cette sélection vidéo jette le trouble sur son ancrage temporel et spatial et parasite nos repères. La déclaration de la fin du monde, d’un état de crises et de bouleversements irréversibles, tout cela est révélateur de nos difficultés à habiter le monde tel qu’il nous est donné.
Ainsi, un futur mais avec des effets Low Tech et une iconographie mêlant les époques et les univers se fait jour. Face à la dématérialisation, à la virtualité croissante de notre société et à sa volonté de transparence totale, la magie, le merveilleux et la cosmologie reviennent au devant de la scène.