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La Quatrième Cordillère

POrnella Lamberti
@21 Mai 2011

Paysages fantasmés, rivages intemporels, reliques d’un quotidien fragile, les œuvres de Luz Angela Lizarazo, Rodrigo Facundo et Rosario López évoquent une autre Colombie, une «quatrième cordillère».

Une Colombie subjective, pensée de l’intérieur par trois artistes originaires de ce pays, se laisse contempler à la galerie Mor Charpentier.

Les mises en scène photographiques de Rodrigo Facundo forment des paysages habités ou plutôt inhabités par des silhouettes humaines. Les personnages ont des contours impossibles, trop en arêtes pour être crédibles, comme s’ils avaient été découpés et placés là. Comme s’ils appartenaient à une autre photographie. A une autre vie.

Ces «phantographies» de l’artiste, au nombre de trois, sont peuplées d’ouvriers, de jeunes à sac à dos, d’hommes d’affaires, ce petit monde hétéroclite gravissant une butte immense, artificielle, sur laquelle a été creusé un escalier en colimaçon. Une tour de Babel en chantier, sous les feux de projecteurs. Une mascarade, un décor? Ou une lumière divine, une bénédiction?

Sur la seconde photographie, des hommes dans le désert s’affairent, là tirant un chargement, ici priant on ne sait quel dieu. Des militaires, obscures ombres, les côtoient. A l’instar d’un théâtre aux décors de carton-pâte, l’image contient différents plans, nettement marqués par un dégradé: de plus en plus clair au fur et à mesure que le regard lorgne vers l’horizon. Les strates visuelles et les hommes se superposent, comme si tout était interchangeable, appartenant à un cycle perpétuel. Sur la dernière photographie, les hommes travaillent la terre et tentent de construire à partir des décombres.

L’histoire de la Colombie ici rejoint celle, éternelle, de l’histoire de hommes: construire et reconstruire, toujours, sur les traces de ceux qui nous ont précédés.

Autres photographies intemporelles, les clichés en noir et blanc de Rosario López dévoilent des rivages. Ceux de la Colombie? Une plage de sable est ainsi photographiée, l’objectif tourné vers la mer en écumes. A quelques pas de l’eau, deux escabeaux se font face, et supportent sans peine un étendard de ballons gonflables blancs qui virevoltent au gré du vent iodé. Les images, de même format, à la pose identique, montrent à quel point tout semble toujours identique (et l’est, peut-être, en substance) et comment à la fois, tout est toujours infiniment différent. La vie et ses infimes variations.

Le travail d’Angela Lizarazo est moins évidemment relié à la Colombie. Des pensées en porcelaine (référence au monde de la réflexion, à la vie intérieure) ornent des murs. Ou la tête d’une femme dont le visage est contaminé par ces fleurs: les pensées l’assaillent… D’autres reposent, fragiles et précieuses, sous des cloches en verre. Des souvenirs? Au mur, un oiseau noir perd ses plumes de porcelaine. Au sol, une corde à sauter gît. Composée de perles de verre que traverse un cordon rouge, elle porte les stigmates d’empreintes de doigts aux poignées, comme si le souvenir modelait l’objet. L’univers d’Angela Lizarazo est un monde intérieur fragile, saturé de reliques…

Ce qui trouble à la visite de cette exposition est la façon dont la thématique transversale des œuvres, particulière — la Colombie ¬— parvient à atteindre une certaine universalité. Car finalement, ce visage de la Colombie — le chantier des hommes, le ressac de la mer à l’infini, les souvenirs comme choses précieuses et aliénantes —, en quoi est-il différent de n’importe quel autre?

Légendes
— Luz Angela Lizarazo, Sombres Pensées (la fleur de pensée comme idée de réflexions envahissant une tête au point de ne permettre ni même de voir son visage. Les pensées sont obscures), 2011. Porcelaine. 35 x 29 x 29 cm
— Rosario Lopez, Piège à vent, 2011. Inkjet pigment print. 42 x 49 cm
— Rodrigo Facundo, Yo no pienso, 2010. Jet d’encre sur papier de coton. 150 x 100 cm

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