Communiqué de presse
Axel Pahlavi
La porte immobile
Physiquement intensément présents au centre de la toile dans une débauche de couleurs, les jeunes personnages des peintures d’Axel Pahlavi sont paradoxalement souvent absents, dans un état de songe, les yeux mi-clos, parfois fermés: ils donnent l’impression de chercher à se détacher de la narration qu’ils illustrent comme s’ils souhaitaient échapper à leur destin.
« Albator », une toile représentant un personnage de profil, les yeux fermés, muni du costume du célèbre héros japonais entouré d’éléments cosmiques, devient à cette aune, une figure typique de l’adolescent égaré dans une rêverie intérieure.
La même grille de lecture fonctionne pour « DJ Horizon ». Une oeuvre où une jeune fille debout de face, le visage sans expression, devant deux platines, observe un bras sans corps mixer à sa place.
Tout laisse à penser dans ces représentations que les personnages souffrent d’une forme de maladie. Un médecin y verrait avec certitude une schizophrénie catatonique, où le patient, figé physiquement, enfermé dans son mutisme, conserve les attitudes qu’on lui impose.
Le diagnostic semble certifié, grâce à une toile de 2004, « Le bicéphale ». Une oeuvre, où l’artiste s’est représenté, avec deux têtes observant des côtés opposés comme s’il souhaitait illustrer la croyance populaire qui attribue au patient atteint par cette pathologie une double personnalité. Cependant si Axel Pahlavi pratique avec humour l’auto diagnostique, cette ironique introspection n’est ni un aveu d’impuissance ni un désir d’analyse psychanalytique.
Les visages fermés ne sont pas des moments d’absence, de renoncement, d’abattement. Ils sont les instants de recueillement nécessaires à tout artiste qui s’interroge sur le quoi peindre et le comment peindre. Dans une correspondance par mail, il m’écrit « Comme les chanteurs Pop qui racontent des histoires d’amour et qui rendent les foules amoureuses, je veux ralentir mes tableaux autant que possible en ce moment. Je cherche l’immobilité maximum pour rester dans la même sensation le plus longtemps possible ». Plus loin, il ajoute « En réalité, je n’ai jamais pensé dans le monde qu’à ma jouissance, une jouissance totale. Le monde est un espace qui peut m’apporter du bonheur, c’est tout. »
Axel est un artiste préoccupé parce que désireux d’inventer les êtres et les lieux nécessaires à une nouvelle création jubilatoire. D’où un débordement des normes, une inflation d’éléments imaginaires grotesques : zombis, morts vivants, apôtres, squelettes, planètes improbables, explosions cosmiques. Une sorte de Big Bang toujours renouvelé dans un espace artistique atone où les possibilités créatives semblent, pour certains, avoir été épuisées.
Si le jeune Albator ferme les yeux, ce n’est pas pour s’extraire du monde, mais, parce que derrière la masse nuageuse qui se dissipe apparaît la lumière aveuglante de l’espace infini, métaphore de tous les possibles. Si la DJ se recueille, c’est qu’elle se prépare à inventer une nouvelle partition à partir de matériaux préexistants. Enfin si le personnage nommé Charlotte dans la toile éponyme se heurte en se levant à la contrainte du filet qui l’enserre, une sorte de cage rappelant étrangement la grille moderniste, sa bouche s’ouvre tout de même pour former un cri muet d’émerveillement et d’extase.
Un cri de jouissance célébrant la toile qui lui fait face et qui configure une énorme galaxie en formation. « Je cherche ainsi à redire le vivant hors du temps comme une comédie dramatique infinie », confie l’artiste avec sa prose halluciné et paradoxale. Créer des mondes en peinture n’est pas sa seule préoccupation, il lui faut aussi imaginer des lieux et des êtres sans hiérarchie, surprenants et fabuleux qui ne laissent jamais le regardeur indifférent.
Des mondes inspirés de personnages issus de fictions populaires à l’instar d’Isidore Ducasse qui fut fasciné par les romanciers Eugène Sue ou Ponson du Terrail. Un rapprochement qui peut paraître iconoclaste mais nécessaire pour comprendre une oeuvre peinte qui porte, avec une touche picturale classique, un amour apparent au « mal », aux difformités anatomiques, aux écorchés.
Les têtes sont tranchées et surmontées d’auréoles, le sang coule des orbites d’une jeune femme qui dit dans une bulle « je t’aime papa » pendant qu’un oeil explose dans un magma de couleurs, un homme au visage de batracien entoure l’épaule d’une enfant consentante tandis qu’une silhouette ingresque pleine de pudeur est assise sur un lit pour ne montrer qu’un dos énigmatique.
Ingres, Matsumoto, Manet, Spielberg ou encore les évangiles, comme chez l’auteur des Chants de Maldoror, les références classiques ou triviales se succèdent et se mêlent de façons libres et extravagantes pour pénétrer dans le monde merveilleux des choses cachées et mettre à mort les illusions réalistes.
Vernissage le 24 mai de 16h à 21h
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critique
La Porte immobile