La photographie contemporaine est marquée par des transformations importantes causées par le déferlement de l’image numérique depuis les années 1980, et plus récemment par la grande démocratisation de la pratique de la photographie.
Au Centre photographique d’Ile de France l’exposition se concentre sur une approche formaliste : un retour aux bases de la pratique photographique — la lumière, la décomposition chromatique, la réaction chimique… Bien que la photographie ait fait apparaître des images inconnues pour l’œil humain, elle a longtemps été considérée comme la transcription objective de la réalité. Mais depuis l’apparition du numérique elle est manipulée, retouchée voire truquée, et atteinte dans son statut de vérité. Les artistes présentés dans « La Photographie à l’épreuve de l’abstraction » inventent des protocoles qui remettent en cause le prétendu réalisme du médium photographique.
Revisiter la chambre noire
James Welling nous fait pénétrer au cœur du procédé chimique. Dans Gelatin Photograph 47, 1985 nous admirons des morceaux de gélatine et procédons par le regard à une dissection des matériaux qui composent une photographie. Meghann Riepenhoff a grandi avec le numérique mais elle revient aux origines de la photographie par le cyanotype, procédé du XIXe siècle, qui consiste à obtenir le négatif d’un élément par une mise en contact direct. David Coste utilise également une technique ancienne : la piezographie, qui rappelle la gravure et permet une expérience de l’intensité du noir et blanc.
Isabelle Le Minh, non sans ironie, rend visible un petit geste du quotidien : le contact des doigts sur l’écran tactile. Sa série iPhone incarne les quelques secondes nécessaires au déclenchement de l’appareil photo miniaturisé dans un geste répandu et banalisé.
Anne-Camille Allueva déconstruit le médium photographique dans sa réception en créant des dispositifs qui donnent à l’image une dimension sculpturale. Jesús Alberto BenÃtez fusionne lui aussi plusieurs pratiques artistiques et questionne ainsi la supposée objectivité de la photographie qu’il est alors difficile de distinguer de la peinture et du dessin.
A rebours de l’instantanéité des images numériques, Laure Tiberghien crée de la photographie sur un temps long. Elle travaille avec du papier photosensible qu’elle expose plus ou moins à la lumière en vue de provoquer la magie d’un accident photographique. Philippe Durand explore aussi les nuances du spectre chromatiques, non pas obtenues par hasard mais par des manipulations précises de filtres sur une table lumineuse. Mustapha Azeroual expose la lumière pure en établissant dans sa série Radiance un répertoire de lumière, du lever au coucher du soleil, tout comme Sébastien Reuzé exploite la luminosité de la Côte d’Azur et amène le visiteur face à un halo sensoriel et méditatif.
Une abstraction révélatrice
Karim Kal, quant à lui, expérimente l’ombre pour photographier des lieux sous tension dans les banlieues. Il utilise un flash de courte portée avec une vitesse d’obturation rapide afin de ne rendre perceptibles que certains détails. Rendre visible la réalité crue par l’abstraction est aussi la démarche du duo Broomberg&Chanarin qui immortalise les intérieurs vides des studios de photo publicitaire au moment de la crise des subprimes, et dévoile ainsi l’effondrement du rêve américain… Anouk Kruithof, quant à elle, collecte ses images sur internet, en particulier des vues aériennes imprimées sur du latex puis suspendues. Ce procédé ne permet qu’entrevoir la réalité qui se cache dans les plis du latex et dans le flot continu d’images numériques.