Présentation
Eliane Escoubas, Sébastien Laoureux, Jacques Garelli, Pierre Rodrigo
La Part de l’Œil n° 21-22. Esthétique et phénoménologie en mutation
Le champ de la phénoménologie est l’un des plus dynamiques tant de la recherche philosophique qu’en matière d’esthétique. Depuis la parution en 1991 du dossier de La Part de l’Œil consacré à «L’Art et la phénoménologie» (volume rapidement épuisé) et la traduction dans ce cadre, par Eliane Escoubas, de la «Lettre de Husserl à Hofmannstahl», abondamment commentée ensuite, quinze ans de travaux et de recherches justifient amplement le projet d’un nouveau bilan en cette matière. Le texte publié ici de Pierre Rodrigo résume une partie du chemin parcouru.
L’on pouvait précédemment faire le constat «d’un consensus général en phénoménologie», depuis Mikel Dufrenne, Henri Maldiney, Jan Patocka jusqu’à Michel Henri pour soutenir une «exemplarité de l’expérience esthétique», pour penser l’art à partir de l’assurance «d’une proximité de nature entre l’attitude phénoménologique et l’attitude esthétique».
L’exploration du «Nachlass» (de l’œuvre posthume) et la traduction, en 2002, chez Million, du volume XXIII des Husserliana — volume abordé ici également par Rudy Steinmetz — témoignent de la volonté opiniâtre de Husserl de «se porter […] à la hauteur […] du phénomène esthétique» et de penser, tout an contraire du consensus susmentionné, «l’irréductibilité de l’esthétique à la phénoménologie».
Pierre Rodrigo note combien «le sens du phénomène esthétique», «le questionnement du statut phénoménologique de l’image et de l’imagination», «l’étrangeté du phénomène esthétique [sont devenus] pour lui [Husserl] une source de perplexité croissante», «l’occasion d’une nécessaire remise en chantier de sa théorie». Husserl recourt au concept de «fiction perceptive», «sorte de simulacre délié de toute référence au modèle et à l’image-copie» pour rendre compte de «l’irréductible résistance du phénomène esthétique».
De même Eliane Escoubas, reprenant Merleau-Ponty, montre comment un «noyau d’absence» au cœur du visible fait de l’œuvre d’art non un «aller au-delà » mais un moyen de «sortir de soi». Tant les textes de Thierry Lenain, Maud Hagelstein et Tristan Trémeau consacrés au questions soulevées par une mise en relation de l’art minimal et conceptuel avec la pensée phénoménologique que la contribution de Luc Richir reliant Emmanuel Levinas et la psychanalyse ou la recherche de René Lew proposant une lecture croisée du logos chez Heidegger et chez Lacan ou encore le travail de Danielle Lories confrontant Merleau-Ponty et Hans Jonas sont ici, parmi d’autres, des signes des mutations en cours dans le champ de l’esthétique et de la phénoménologie.