Thierry Fontaine fait de la photographie pour rendre compte d’une idée porteuse d’ambivalence par des signes visuels simples. Originaire de l’île de La Réunion, l’artiste est d’abord sculpteur mais trouve ensuite dans la photographie le moyen de faire voyager plus facilement ses œuvres à travers le monde. Ses matériaux sont élémentaires: coquillages, terre, ampoules, miroir, déchets… avec de temps à autres l’intervention de l’humain dont le visage est le plus souvent caché ou hors-cadre. Il concentre de manière frontale la vision sur un élément, focalisant le regard sur un signe, tout en appelant le questionnement sur son interprétation.
Son art est traversé par la question du tourisme exotique et des stéréotypes véhiculés d’un côté comme de l’autre. On trouve ici plusieurs photographies présentant un vendeur fabriquant des babioles à destination des touristes. Dans Le fabricant de rêves, il transforme des noix de coco en ballons de football et dans Souvenirs, c’est la tour Eiffel parisienne que l’autochtone s’approprie en la reproduisant à l’aide de cauris. Mais par-delà la confrontation des stéréotypes, c’est la question du syncrétisme des valeurs et des références culturelles qu’il souligne, en présentant l’appropriation de symboles qui font rêver les jeunes de ces contrées lointaines comme la tour Eiffel ou le football, avec des moyens artisanaux comme l’enfilement des coquillages ou la peinture sur bois.
Jouant avec certains poncifs de l’homme occidental sur les cultures exotiques, il met également en scène, dans Avant la cérémonie, un homme tenant une machette sculptant des fétiches en bois à la forme de godemiché. Sexe, violence et magie noire sous-tendent ici une image qui traite de stéréotypes dont son auteur semble se moquer en même temps qu’il les désamorce par le traitement anodin de l’image qui annihile leur puissance d’évocation.
Dans ces quelques exemples, on perçoit l’importance des titres qu’il donne aux images. Ceux-ci guident le champ de lecture et d’interprétation, tout en introduisant bien souvent une note d’humour. Car s’il traite de questions d’identité et de perception biaisée par nos codes culturels et nos stéréotypes, il le fait avec une singulière légèreté, sans pathos.
Certaines mises en scènes témoignent d’une capacité d’émerveillement et de réenchantement du monde. Comme dans Trésor, où il transforme de simples bidons en plastique en les peignant en doré et en les déposant sous l’eau, donnant ainsi l’impression d’un trésor découvert. Il fera la même chose avec un squelette humain, cette fois retrouvé au cœur de la forêt.
Cette dimension magique se révèle également quand il photographie un grillage en feu. Chose impossible en réalité mais qu’il va minutieusement préparer en le doublant d’un cordage qui se consumera aisément. Si l’image est belle car énigmatique, elle prend un sens particulier au vu de son titre, Johannesburg. Emerge alors à la conscience une symbolique de la destruction des barrières, de l’abolition de la ségrégation.
La thématique de l’île est aussi prégnante dans son travail. La très belle photo L’île habitée montre un personnage sortant de la mer avec la tête complètement recouverte de glaise. Ce n’est plus le souvenir de son île natale qui habite sa tête mais c’est sa tête qui s’est transformée en île et, changeant de rivage, il la transporte partout là où il va. En écho à celle-ci, on s’interroge devant Le cri nu où l’on peut voir le corps d’un homme dont le visage est caché par sa chemise relevée mais laissant apparaître un buste et des jambes grossièrement modelés avec de la terre glaise, comme une sculpture vivante inachevée. Cet être informe sous les vêtements, est-ce le corps d’un homme qui crie parce qu’il bouillonne intérieurement, parce qu’il ne ressemble à rien de bien défini ou saisissable quand on cherche en dessous des apparences? Ou est-ce un homme en transformation, qui désire prendre une autre forme qui celle qui lui est imposée?
Par ses mises en scènes, c’est au dialogue que Thierry Fontaine nous invite. L’identité et le rapport à l’autre sont au cœur d’une poésie visuelle qui réenchante des propos souvent porteurs d’un «mal être» et tente ainsi sinon de les désamorcer mais de leur donner une réalité autre, saisissable et en même temps insaisissable.