Communiqué de presse
Art Orienté objet, Marion Laval-Jeantet, Benoît Mangin
La Part animale
Ljubljana, le mardi 22 février 2011, où se déroule la performance May the Horse live in Me (Que le cheval vive en moi), constitue le premier acte d’une expérimentation biologique et éthologique préparée de longue date par le duo Art Orienté objet. Ce jour-là , Marion Laval-Jeantet va recevoir une injection d’une partie compatibilisée de sang de cheval devant un public attentif. À la suite de quoi, elle se livrera à un rituel de communication avec l’animal.
Cette action a été conçue et développée avec l’aide de chercheurs en biologie et en comportement animal, afin de concevoir quelles limites pouvaient être atteintes dans l’expérience.
Toutefois, comme toute intervention susceptible de modifier l’immunité, elle comporte ses risques. Du reste, l’expérience a nécessité de la part de l’artiste une grande ascèse physique, visant à permettre au corps de développer au mieux ses capacités émonctoires (éliminatrices) pendant les mois qui précèdent et succèdent à la performance.
Mais le risque n’est pas le moteur de cet action, ce qui la motive est bien davantage un désir profond d’appréhender une essence animale, en l’occurrence le cheval. En effet, les immunoglobulines équines, vecteurs d’informations conservés dans la solution qui lui est injectée, provoquent dans le corps humain des hyper-réponses immunitaires. Ce faisant, la conscience que l’artiste a alors de son corps n’est plus la même, la sensation de l’étrangeté vécue devient une réalité. La conscience même s’en retrouve modifiée par la réaction amplifiée du système endocrinien.
Même si l’expérience peut sembler gratuite ou contre-nature, elle est pourtant à l’image d’un désir chronique des artistes de ne pas oublier, à l’instar de Gilles Deleuze, l’importance de la «part animale», et de la capacité d’empathie extraordinaire dont l’homme dans son acception la plus généreuse peut faire preuve à l’égard de l’Autre. À tout le moins elle met l’accent sur la remise en question, qu’ils partagent avec Arne Naess, père de «l’écologie profonde», de la vision anthropocentrique que peut avoir l’homme de son écosystème.
Elle déjoue l’image trop lisse d’un homme qui se suffirait à lui-même, comme s’il pouvait ne pas contenir les millions de bactéries et de corps étrangers qui le traversent constamment, comme s’il pouvait sortir indemne des expériences que lui-même fait subir à son environnement. Or le corps humain ne survit que dans un état de transistasie, l’état d’une perpétuelle capacité d’évolution, d’absorption et de résorption. Ainsi, se livrer à une expérience telle que celle du sang de cheval n’est pas pure inconscience, elle est une reconnaissance calculée avec des biologistes des capacités d’adaptation du corps humain, et de ce que l’on peut raisonnablement y infiltrer.
Ce n’est pas la première expérience d’art biotechnologique à laquelle se livrent les artistes, comme en témoigne une autre oeuvre présente dans l’exposition, Cultures de peaux d’artistes, mais, tout comme cette dernière, sa singularité provient du fait que les artistes en sont aussi les expérimentateurs. Ainsi, l’oeuvre rejoint une dimension vécue proche du Body Art.
Et c’est cette expérience vécue qui est troublante, d’autant qu’elle suggère ici la possibilité d’un état de conscience modifiée biologiquement par l’Autre. Une approche qui leur est familière puisqu’ils considèrent l’action artistique comme un système d’élargissement de la compréhension du monde, pour lequel ils peuvent aller jusqu’à se faire initier à des rites pygmées ancestraux, ou à se faire injecter du sang de cheval…
L’exposition au centre d’art contemporain Rurart présente non seulement un ensemble d’oeuvres d’Art Orienté objet qui s’appuient sur la performance slovène, mais elle en révèle aussi la genèse à travers un choix de travaux tirés d’expérimentations antérieures des artistes.
Des films vidéo documentent la performance May the Horse live in Me, en explorent les détails, multiplient les points de vue. Des photographies arrêtent le regard du spectateur. Elles fixent les moments clés de l’expérience vécue par Marion Laval-Jeantet.
Au mur une série de boîtes métalliques abritent quelques millilitres du sang de l’artiste prélevé juste après l’injection. À ce sang hybride fait écho une pièce antérieure des artistes. Il s’agit de fragments de peaux présentés dans des bocaux de formaldéhyde, produits au milieu des années 1990, fruits de la culture de cellules épithéliales des artistes mêmes, déposées ensuite sur un derme de porc et tatouées de motifs animaliers. Une première expérience d’hybridation interspécifique.
Au centre de la salle d’exposition, des capots de plexiglas abritent de singulières prothèses. L’une est constituée d’un casque auquel sont greffés de majestueux bois de cerf. En face, une photographie montre Benoît Mangin coiffé de cette excroissance, à quelques mètres d’un cerf, dans un milieu boisé. Une autre prothèse fait partie de l’ensemble de pièces produites autour de la performance. Elle est composée de deux prothèses articulées recouvertes de cuir. Les artistes s’en sont servie, une fois le protocole sanguin achevé, pour élaborert un langage corporel avec le cheval. Ainsi la tentative de fusion avec l’animal naît autant de la modification biochimique que de l’approche physique, témoignant des nombreuses recherches que le duo a pu mener en éthologie.
Que ce soit dans le domaine de l’immunologie, de l’éthologie, ou de l’écologie, la notion de terrain d’expérimentation est un enjeu essentiel pour Art Orienté objet. Il s’agit de négocier leur interaction avec un milieu étranger, pour dépasser la barrière interspécifique.