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La Nature ne fait rien sans objet

En inscrivant le mot «Rien» sur un miroir, Sylvain Ciavaldini souligne l’aporie de l’idée du vide: il prouve que le rien, dès qu’il est nommé, se matérialise déjà en tant qu’idée. Il est toujours déjà là. Bien sûr, il y a l’ironie du miroir qui crie «Rien» en nous regardant. Mais puisque nous nous y mirons, c’est bien que nous sommes nous-mêmes quelque chose. Des objets regardant non identifiés.

L’objet est partout, contraignant même ce qui est le plus immatériel comme la lumière, affirme le bouquet d’ampoules électriques pendu au plafond conçu par SAAV. L’objet-bourreau qui contraint, enferme et pend.

L’objet a le droit de punir car il est de nature divine, sacrée: les lampes en forme d’angelot de Yair Amishay, les têtes en ampoule, s’envolent ainsi vers le plafond.
L’objet est également magique. Chi Chi Menendez le sait bien, lui qui intime aux passants de remplir une tasse d’eau chaude afin que le portrait de Marie-Madeleine y apparaisse.

Les objets sont l’incarnation d’idées. Ainsi les «poufs» chamarrés de Manish Arora qui sont autant de matérialisations d’idées de civilisation. Ici, l’élégante Angleterre, arborant son Big Ben imposant et ses gardes royaux mutiques, s’étale en broderies soyeuses sur les coussins de l’artiste. Là, la romantique Paris, ici l’Inde exotique.
Infinie mise en abyme de l’objet: l’objet existant (la Tour Eiffel) devient l’archétype de toutes ses représentations (les Tour Eiffel brodées) qui elles-mêmes s’inscrivent sur d’autres objets (les coussins de Manish Arora par exemple).
Voilà comment opère la croissance exponentielle des objets. Ces matérialités sont pérennes et indestructibles comme le démontre littéralement Wen Fang, qui imprime sur des blocs de béton les représentations de la société de consommation chinoise.
SAAV dénonce aussi cet accroissement terrible, créant une table immaculée portant tous les designs de pieds de table possibles.

De pléthorique, l’objet devient menaçant. Les structures de Molenac, architectures de bois inutiles, se collent aux murs tels des parasites végétaux. S’en élevant parfois, elles semblent être sauvages, au point qu’il faille les attacher avec des lanières de cuir afin d’éviter qu’elles ne s’échappent et ne deviennent dangereuses.

Car il est une sauvagerie de l’objet. L’objet nous menace et son agressivité intrinsèque peut surgir des plus innocents objets, ainsi les sculptures mimant des jouets pour enfants de Ji ji. Des pandas qui, regards mauvais et têtes ensanglantés, farouches et démoniaques, toisent méchamment quiconque s’en approche.

Au sous-sol de la galerie, des couteaux aiguisés et étincelants, la pointe vers le bas, sont figés dans leur chute létale. Sur le sol, en dessous de ces papillons de nuit meurtriers, un miroir reflétant la rencontre improbable des couteaux avec eux-mêmes. Deux armées tranchantes se font face, en attente d’un affrontement dont l’issue ne peut être que mortelle. L’immobilité des couperets est suspecte.
A quand la chute? A quand la mort? sont les angoissantes questions qui nous étreignent à la vue du dispositif de Wen Fang. Sur les lames sont imprimées des images irisées, sombres, représentant des objets de dépotoirs. Là, une boîte de conserve, ici, un sac, plus loin un jouet abîmé. Installation à la beauté morbide et à la gamme colorée fascinante, de noirs assumés et d’images nacrées, noircies, scintillant au hasard des lumières.
La fascination s’installe. L’on voudrait se pencher pour admirer de plus près, mais les couteaux périphériques, qui surplombent alors la tête, nous en dissuadent. D’une beauté délétère, envahissant nos décharges, ne voulant quitter cette terre, les objets sont impérissables, à l’instar des objets en marbre blanc (un chargeur de portable, une manette de console de jeux) de Molenac.

Entre sacralité et menace, l’objet est l’objet de toutes les convoitises des artistes de «La nature ne fait rien sans objet».

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