Bernard Aubertin
La Nature des choses
La peinture épaisse est appliquée en de nombreuses couches au couteau ou à l’aide d’autres instruments, l’artiste assumant son engagement physique dans la concrétisation de l’œuvre.
S’il revendique lui-même le choc produit par la rencontre avec l’œuvre d’Yves Klein, l’itinéraire qu’il suivra va l’inscrire de manière durable dans ses traces.
Dès 1960, Yves Klein le met en contact avec les acteurs du groupe Zéro et notamment Otto Piene et Gunther Uëcker. Avec ce dernier, il partage l’enjeu du poinçonnement de la surface et de sa vibration, obtenue par le pointage régulier de clous en version all-over.
Les «Tableaux-Feu» constituent l’autre champ d’investigation de Bernard Aubertin. Sur des supports d’aluminium sont insérées des allumettes qui une fois embrasées, créent une œuvre calcinée dont l’aura noire de fumée s’étend à la cimaise. Cela le mène régulièrement dans le champ de la performance publique et le place là encore dans un dialogue fécond avec Yves Klein ou les tenants du Groupe Zero.
Une proximité formelle qui le conduit en Allemagne et notamment à Reutlingen, au Stiftung für konkrete Kunst, où il restera en résidence pendant une quinzaine d’années. De ce séjour prolongé, il revient en France avec plusieurs centaines d’œuvres qui amènent à une relecture de son travail.
Texte de Bernard Aubertin
Yves Klein, Bernard Aubertin: l’articulation 55 ans après.
«À ceux nombreux, qui ont entendu parler de l’influence que Yves Klein a exercé sur un Bernard Aubertin âgé de 23 ans (c’était début 1956 que j’ai rencontré Yves Klein) je voudrais dire que j’ai effectivement éprouvé un choc émotionnel majeur quand j’ai vu dans son atelier, 9 rue Campagne Première, ses premiers tableaux monochromes. Ils étaient de couleurs différentes orange, noir, vert clair, jaune –la période bleue n’avait pas encore commencé.
Qui étais-je à cette époque?
Un jeune peintre qui se cherchait en peignant des tableaux abstraits ou figuratifs qui ne lui donnaient guère satisfaction. Je n’aimais pas ce que je faisais et je n’aimais pas ce que je voyais dans les expositions. Ma formation en atelier pour préparer les examens d’entrée aux écoles d’état de dessin d’art ne m’aidait en rien à comprendre la peinture, ni à me trouver mais elle rassurait juste ma mère sur mes intentions de gagner mon pain.
Ce que je voyais quand je visitais les galeries –les peintres de l’École de Paris en particulier– n’était pour moi que du barbouillage sans grand intérêt. Je ne ressentais qu’indifférence face à la peinture de mes contemporains.
Était-ce ma démobilisation qui m’empêchait d’éprouver de l’émotion devant une toile d’Alfred Manessier, par exemple?
Oui et non. Oui, je viens de dire pourquoi; non, car lorsque Yves Klein m’invita à voir ses œuvres dans son atelier, je m’y rendis avec curiosité et, face à ses tableaux monochromes de couleurs variées exécutés au roulor, j’eus une révélation: la couleur libre, pure… Que c’est beau! pensais-je stupéfait.
J’ai ressenti enfin un choc d’une rare intensité et compris qu’une profonde réflexion présidait à l’éclosion de la proposition monochrome.
En conclusion, il me fallait être un peintre monochrome. J’ai souvent relaté ces anecdotes tant en Allemagne, en Italie qu’en France.
Yves Klein m’a mis en contact à partir de 1960-1961 avec les fondateurs du groupe Zéro de Düsseldorf: Heinz Mack, Otto Piene et Günther Uecker. Cette recommandation me permit de publier dans la revue Zéro n°3 la photo d’un tableau monochrome rouge et du texte «Esquisse de la situation picturale du rouge dans un concept spatial».
Aujourd’hui j’ai 78 ans et je ne renie rien de ce que j’ai pu dire ou écrire à propos de ce «tremplin» avancé par Yves Klein. Le temps a passé et je ne vois plus les choses comme il y a 55 ans.
Jetant un regard sur mon parcours artistique de 1958 à 2012, je me trouve face à une œuvre considérable touchant différents domaines dont la caractéristique principale est la composition sérielle et l’ordonnance régulière de mes tableaux. Certes, je peins monochrome et je fais des œuvres de feu, mais la comparaison avec Yves Klein s’arrête là .
Il faut dire qu’aujourd’hui la peinture monochrome est devenue un genre pictural banalisé, un langage que beaucoup de peintres utilisent. Le catalogue de l’exposition «La couleur seule» (Musées de Lyon – 1988) répertorie une centaine d’artistes de cette mouvance. Combien sommes-nous aujourd’hui, après 25 ans d’explosion de jeunes talents? Ce type de peinture a perdu l’aura fulgurante et révolutionnaire des années héroïques que j’ai vécues.
De quelle manière sont faits mes tableaux monochromes et mes tableaux-feu?
Il est juste de répondre de «mille façons» –j’ai ainsi utilisé des clous, des fils de fer, le dos de cuillères, des serviettes éponge, des allumettes plus ou moins longues.
Alors que Yves Klein tendait vers l’immatériel, cherchant à se détacher de la matière, orchestrant les mouvements des «pinceaux humains», je restais au contraire très attaché à la réalisation de mes peintures tel un ouvrier, ne craignant pas d’affronter la fatigue.
Planter 3000 à 5000 clous par tableau-clou, brûler 8468 trous pour un tableau-pyropoème, superposer 100 couches de peinture rouge sur une toile, témoignent de ma volonté d’aller au bout d’un engagement. En agissant ainsi, je n’ai pas cherché à exhiber les quantités énormes de travail, mais à neutraliser la superbe de l’artiste.
Pourquoi vivre à ce point dans l’art?
Parce que l’art est d’abord un moyen de connaissance de soi et de l’univers, aussi j’affirme que le rôle de l’art est d’aider au développement de la société.
En ce qui me concerne, j’ai trouvé dans la monochromie un quatuor plastique: espace, temps, mouvement, énergie qu’il faut sans cesse manier, au moyen d’un grand nombre de matériaux ordinaires, afin d’atteindre cette beauté à laquelle nous aspirons si fort.
Compositeur sériel, j’ambitionne de respecter la structure tout en la rendant active. L’avantage d’être peintre monochrome réside dans le fait indéniable que l’on ne fait pas un tableau classique: il est superflu de rechercher les rapports de formes, de couleurs ou l’équilibre de la composition.
La monochromie m’a fait comprendre que ceux qui décident de faire un tableau ne sont pas vraiment des peintres. La main, toute au service de «l’idée», remplit son rôle sans jamais intervenir de façon voyante.
Une rigoureuse objectivité –autant que faire se peut– est de mise dans la peinture monochrome. Mon travail livre des messages empreints d’humanisme et je souhaite qu’il induise une réflexion lucide sur le monde.»
Vernissage
Vendredi 8 février 2013 à 18h