Marie Cool et Fabio Balducci
La mia mano come organo
Les deux expositions à Metz et à Delme (dessins, installations, vidéos et actions) se combinent pour former une chambre d’écho à une démarche essentielle et existentielle. L’instant en perpétuel renouvellement y effleure l’indicible. Marie Cool et Fabio Balducci créent des pièces dont le tracé et la présence dans l’espace assimilent leur apparition à des «sculptures non stables avec corps». La singularité de leurs propositions et installations si peu installées est dotée d’une réelle puissance d’étrangeté. Faire surgir de la pensée plutôt qu’un résultat serait le dessein ultime de ces artistes, qui tentent de défaire le conflit du matériel et du métaphysique.
Ne suivant aucune trace, aucune voie, Marie Cool et Fabio Balducci ne proposent rien de moins qu’un renouvellement de l’expérience de l’art. En utilisant des matériaux pauvres, des gestes simples, une temporalité déliée, ils renouent avec un langage universel, compréhensible par tous. Les artistes déploient une exigence sensible et critique à même d’engager un questionnement sur certaines conduites, postures et valeurs normatives – notamment la temporalité.
Tous leurs dialogues intérieurs, leurs visions, leurs incisions, leurs apostrophes témoignent d’un désir passionné de creuser la représentation pour mieux l’ouvrir. Tout leur travail prédispose à cet élan qui fait de l’art la manière la plus juste de faire exister le monde invisible, inaudible.
Dans les gestes de Marie Cool la main devient une vie en soi, un visage aux multiples facettes, un être intempestif, à même d’effleurer ou de briser. Elle est le lieu d’une rage à venir, d’une révolte en devenir, d’une humaine résistance à la dilution d’un monde consommé et consommable, régi par des objets et des machines toutes puissantes. L’insurrection contenue dans les gestes devient une politique de vie en soi, une injonction permanente à rester éveillé, vivant, à être là , mais toujours en équilibre précaire, au bord du grand secret.
« Ce qui est visible dans l’exposition de Marie Cool et Fabio Balducci n’est pas seulement ce qui est présent, comme c’est le cas chez les démonstrateurs d’ustensiles ménagers ou de bricolage installés à la marge des grands magasins. L’exercice de répétition infinie sur un objet n’est pas simplement en vue d’imposer son usage unique. Si en effet le geste précis et calculé de Marie Cool entretient des liens qui se répartissent à égalité entre celui du danseur et celui de l’ouvrier à la chaine, c’est pour exprimer à l’un comme à l’autre autant sa dissonance que sa familiarité.
La différence du geste de Marie Cool avec celui d’un danseur réside dans l’affirmation de sa proximité avec le geste de l’ouvrier. La différence du geste de l’artiste avec celui de l’ouvrier se situe dans l’insubordination de ce geste à un usage particulier.
Leur travail poursuit la stratégie de l’exercice imprimé à la matière et où la matière, en retour, imprime au corps. Ce qui singularise l’oeuvre de Marie Cool et Fabio Balducci c’est aussi de réinvestir dans un autre registre la répétition infligée au geste du peintre et de redistribuer à d’autres parties du corps, la pratique plastique élémentaire du piéton en déplacement.
Mais ces références ne suffisent plus pour faire preuve de solidarité envers l’agent sur la chaîne de montage des années 70 ou l’opérateur sur plateforme téléphonique actuel. Car ce qui démarque surtout le travail de Marie Cool et Fabio Balducci, par rapport aux enjeux de leurs prédécesseurs, ce qui les rapproche aussi de leur contemporain (Santiago Sierra, Prinz Gholam, Vigier & Apertet ou François Laroche-Valière), c’est de défaire l’illusion d’un corps fini et accessible comme une totalité, c’est d’affirmer une dépendance autant mentale que physique et d’exposer la réciprocité entre l’homme et la matière.
La feuille de papier, la table, le fil de coton, l’encadrement de la porte, les limites de la pièce, parfois le bord de la fenêtre découpent le corps en action de Marie Cool. Ce travail de morcellement des membres en action, de réversibilité entre une main et une feuille au format A4 affirme une interdépendance. Le trouble instauré par la durée de l’exercice et la multiplication des séquences entame une révolution de la matière. Est-ce la main qui conduit la feuille en mouvement, qui suit le fil de coton se consumant? Ou bien est-ce le contraire?
Chez Marie Cool et Fabio Balducci ce n’est pas la déconstruction des actes qui conduit à une révolte de la matière et à une insurrection des formes, c’est la réitération de ces actes dans une absolue apathie.
Ils présentent une forme et une matière en vie autant qu’une vie de la forme et de la matière. Cette tradition antithéâtrale qui nie la présence du spectateur vise à déconditionner son regard en le prenant de revers. » (Pierre Bal-Blanc, Avril 2009)