Myriam Mihindou
La Mandragore
Myriam Mihindou n’aime guère le mot objet, encore moins objet d’art. Elle fait justement remarquer qu’ils ne disent pas l’essentiel — peu importe son aspect, sa matière ou ses dimensions — l’objet existe uniquement lorsqu’il est imprégné de pensées, d’émotions, de mémoires, de récits, d’obsessions ou de songes. Il doit être considéré comme la forme matérielle de ces données immatérielles.
Les sculptures de savon piquées de clous et percées de trous de Myriam Mihindou sont troublantes. Elles multiplient les allusions au corps humain, à ses organes, à ses membres, à sa substance même. Le biomorphisme accapare notre attention. Mais il n’est que l’une des qualités de ces sculptures. Leurs couleurs légèrement éteintes, le grain de leur surface, la translucidité de leur matière font songer à des pierres retrouvées dans des tombes par les archéologues. Toutefois, elles ne ressemblent à aucun style d’aucune culture ancienne ou lointaine (ni Cyclades, ni Afrique, ni Chine). Cet air d’ancienneté précieuse est démenti par les cordelettes, qui sont récentes et sans valeur.
L’artiste ne veut pas créer un bel objet. La perfection formelle ferait perdre de leur intensité à ces pièces. Leur créatrice ne les présente ni comme des symboles, ni comme des amulettes, mais chacun est libre néanmoins de les tenir pour telles, s’il le souhaite. Leur forme est retravaillée par l’artiste, prête à se défaire au moindre geste trop appuyé, menaçant de la faire disparaître.
Le temps est également une notion centrale dans l’Å“uvre de Myriam Mihindou. Il est pluriel: le temps du corps, le temps de la perception, le temps de la contemplation. On y perçoit, on y vit plusieurs temps différents, particulièrement dans ses photographies. Il y a la suggestion d’un instant ou d’un moment bref, qui serait celui de la douleur. Cet instant semble annoncer la destruction: bien au-delà de la fragilité, une menace qui ne pourra être évitée puisqu’elle est celle de la mort.
Mais ces tissus, aiguilles et autres signes de la destruction sont comme désamorcés. L’inquiétude qu’ils peuvent susciter est tenue à distance par l’équilibre des lignes que dessinent les mains ou l’assemblage de fines baguettes et de plumes. Il suffirait à nouveau d’un rien pour le rompre, mais il demeure intact, comme protégé par l’arrêt du temps.
Ce n’est pas hors du temps, comme on le dit banalement, mais plutôt comme si on avait échappé au temps, comme si l’on s’en était délivré et que l’on pouvait le regarder couler. Une sorte de non-temps, expérimenté par les mystiques en extase ou les visionnaires en transe. C’est en tout cas un retrait, qui conduit du côté du silence et de l’intériorité. Proche de la contemplation, il incite à la gravité et autorise la sérénité. Celles-ci, on croit les reconnaître dans les attitudes des hommes et des femmes que Myriam Mihindou photographie et montre en négatif, à l’état de spectres.
Philippe Dagen
Vernissage
Samedi 16 novembre de 16h à 21h