ART | CRITIQUE

La Maman et la Putain

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Notre monde familier nous offre son cortège de références éculées, photos de films, chanson de Bowie, défilés de mode, images d’actualité et spots publicitaires, travesties par la mise en scène des artistes, ou plutôt restituées à leur vérité. L’exposition organisée par Eva Svennung donne une image désenchantée du monde contemporain, dont l’illusion et le mensonge semblent mener le cours.

L’art se nourrit des images que le monde lui renvoie: il les absorbe pour mieux les expulser, les rumine avant d’enfin s’en délivrer. C’est ce travail d’exorcisme auquel se livre l’exposition «La Maman et la Putain», organisée par Eva Svennung, commissaire invité par la galerie Air de Paris, qui rassemble des œuvres de Claire Fontaine, Karl Holmqvist, Bernadette Corporation, Leonor Scherrer, Joseph Strau, Isa Genzken, Adriana Lara.

Notre monde familier nous offre son cortège de références éculées, photos de films, chanson de Bowie, défilés de mode, images d’actualité et spots publicitaires, travesties par la mise en scène des artistes, ou plutôt restituées à leur vérité.

L’installation de Claire Fontaine placée à l’entrée de l’exposition donne le ton: deux grands sacs-poubelles sont négligemment posés dans un coin. La présence encombrante de ces ordures force le regard: ces sacs sont remplis de bonbons. On hésite à se servir; la présentation est peu engageante, mais la tentation est là.
Symbole du geste commercial, le bonbon est l’offre séductrice par excellence: enrobé dans sa papillote, il se défait comme un cadeau, et se mange par pur plaisir, sans besoin alimentaire. Le bonbon est la version moderne de la pomme cueillie par Eve à l’Arbre de la tentation, revisité par la chimie culinaire et les arômes de synthèse.

Claire Fontaine reprend les installations de Felix Gonzales-Torres, qui invitait le spectateur à piocher dans d’immenses tas de bonbons, brisant ainsi la distance avec l’œuvre. Ici, le séduisant présent devient déchet, montré et dérobé dans le même temps, offert et dégradé. Le geste interactif qui transformait le spectateur en public est jeté aux ordures.

Un grand montage de Karl Holmqvist, reprend des morceaux de sa publication, Cat People, organisée autour du film de Paul Schrader. Des photos du film et le texte de la chanson composée par Bowie pour la bande-originale se mêlent, pour évoquer les transformations de la femme panthère. Le visage fuyant de Nastassja Kinski disparaît sous les masques qui la métamorphosent, incarnant par là même la figure du fantasme: c’est la femme qu’on aime dans la panthère, et la panthère dans la femme.
L’ambivalence du désir est telle que la contradiction devient insoluble: il faut menotter la femme panthère pour lui faire l’amour sans être dévoré. Les menottes de fer déposées sur le sol rappellent cette impuissance à tenir l’objet du désir en une emprise ferme.
Le regard circule d’un bout à l’autre de ce montage sans pouvoir saisir autre chose qu’un fantôme. Le puzzle est incomplet: le texte de Bowie est là, mais sans la musique qu’il appelle.

Des tirages sur papier de Leonor Scherrer assemblent images de la mode et de la publicité en des compositions énigmatiques. Rencontre d’un poilu de la Grande Guerre avec la jungle amazonienne, tête d’E.T. sur fond de ciel noir: ces apparitions ont la familiarité confuse des rêves, troublée par l’improbable collision d’éléments disparates. L’impression en jet d’encre écrase la perspective, soulignant cet effet de confusion onirique.

Le film réalisé par Bernadette Corporation sur la mode poursuit cette vision désenchantée de notre monde, où les bonbons ont le goût amer d’un cadeau empoisonné.

Une installation de Josh Smith, The City Never Sleeps, fait écho à cette exposition d’Eva Svennung. Un ensemble de 28 livres, disposés dans des casiers de bois, donne une version parodique de l’encyclopédie. Certains livres sont rangés, d’autres négligemment posés; le principe d’ordre étant rompu, on s’autorise à ouvrir ces ouvrages peu crédibles, pour ne trouver que gribouillages, pages blanches, et publicités.
La bibliothèque du savoir revisitée par l’artiste est vide, taguée.

Le spectateur est encore une fois invité à briser la distance qui le tient face à l’œuvre, mais là encore, le geste intrusif échoue en une désillusion.

Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Margot Ross

Karl Holmqvist
— Nest, 2006. Technique mixte. 23 x 44 x 15 cm.
— Cat People, 2006. CD Rom contenant 51 fichiers numériques (affiches, livre).

Claire Fontaine
— Untitled (Collectors), 2006. 2 sacs plastiques de 100L, bonbons en papillote, circa. 40 x 100 x 40 cm.

Bernadette Corporation
— Creation as a False Feeling, 2004. DVD, 19.20 mn

Joseph Strau
— 1,2,3 Plus Something Like 4, 2006. Technique mixte, circa. 170 x 140 x 50 cm.

Isa Genzken
— Architekturecollage, 2001. Collage encadré. 80 x 60 cm.

Adriana Lara
— Art Film 1 : Ever Present Yet Ignored, 2006. Film 16 mm transféré sur DVD, 7. 30 mn, en boucle.

Leonor Sherrer
— Sans titre, 2005 – 2006. Impression jet d’encre, passe partout.

Josh Smith
— The City Never Sleeps, 2006. Sérigraphie monochrome sur toile. 50,7 x 40,5 cm ou 61 x 45,5 cm chaque.
— Encyclopédie, 2006. Ensemble de 28 livres (photocopies rehausées d’encres et de crayons) dans caisson de bois verni. 25,5 x 61 x 14 cm chaque.

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