La complexité du contexte économique a en effet poussé la galerie Mouvements modernes à réinventer sa politique d’exposition, le travail se fait en chambre ou hors les murs. La sélection proposée dans «La Libération de la forme » est pointue et sensible, les femmes céramistes sont peu ou pas connues du grand public, leur expression présente un kaléidoscope de visions subtiles issues de la connaissance et d’une pratique patiente de la terre. Cette réflexion libérée est liée à la spécificité du matériau, malléable et expressif dans ses qualités de matières et de couleurs.
L’espace de la galerie Anne-Sophie Duval impose magistralement la justesse des Å“uvres, qui sont posées de façon tout à fait familière dans un intérieur raffiné, aménagé avec des meubles de grands créateurs des années 20 et 30, une des spécialités de la galerie du quai Malaquais. Les pièces issues de la collection de cette dernière ou de celle de Mouvements modernes parsèment l’espace de leurs formes sensuelles. Une vision revigorante du pouvoir de séduction du « pot » avec une grande liberté d’expression.
Elles sont huit, nées entre 1907 et 1925, femmes humbles et consciencieuses qui ont donné forme à leur sensibilité, dans le silence de leur atelier. Avec la générosité de la création pure, elles ont inventé dans les années cinquante leur propre version de la céramique « artistique », subtile et délicat alchimie d’une composition en volume et en couleur.
Huit femmes céramistes
Guidette Carbonnel (1910-2008) propose des céramiques émaillées, joyeuses figurations inspirées de la nature ; Denise Gatard (1921-1992) réinvente des objets fonctionnels au galbe subtil ; Mado Jolain crée des formes fécondes ; Elisabeth Joulia (1925-2003) traduit la subtilité de la matière avec du grès chamotté aux teintes naturelles. Jacqueline Lerat (1920-2009), sans doute la plus reconnue d’entre elles, a monté avec son mari un atelier à Bourges. Leur action pédagogique et leurs pièces en grès ont rayonné sur la production française de l’après-guerre. Suzanne Ramié (1907-1974) occupe l’espace avec des pots élancés en faïence émaillée. Son atelier ouvert à Vallauris, Madoura, est rendu célèbre par sa collaboration avec Picasso. Enfin, Valentine Schlegel décline en terre chamottée des figures abstraites et suggestives à la fois tandis que Vera Székely (1923-1995) dessinent des formes minimales et monochromes.
Ce voyage en céramique traduit la sensibilité de trajectoires féminines, qui ont eu à porter leur fardeau de peines et de difficultés, lié au douloureux moment de la guerre,. Leur expression est réjouissante, sincère et traduit la renaissance d’une matière enfin libérée. Celle-là même que Pierre Staudenmeyer, créateur de la galerie Mouvements modernes, a su déceler, collectionner et faire partager en écrivant La Céramique française des années 50 aux éditions Norma (2001), et que l’on peut aussi admirer au Passage de Retz dans l’exposition qui lui est consacrée jusqu’en janvier 2010.