Nouvellement nommé à la direction du Ballet National de Marseille, le collectif (La)Horde cultive une approche singulière de la danse contemporaine. Créé et porté par les trois chorégraphes Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, (La)Horde a pris acte de l’arrivée d’Internet dans la vie quotidienne. Et si la danse, avec sa composante très corporelle, pourrait donner à penser qu’elle demeure en marge de cette infiltration, pour (La)Horde il n’en est rien. Depuis sa fondation en 2013, le collectif s’attache ainsi à ausculter les danses post-Internet. Et ce, « tant pour analyser la viralité du geste que les questions qui en découlent : l’accessibilité à de nouvelles pratiques, l’abolition des frontières, le tutoriel, le lien avec les danses traditionnelles/folkloriques, la question du droit d’auteur, l’appropriation culturelle. » Une recherche qui se déploie au fil de ses spectacles (To Da Bone, 2017…) et se prolonge aujourd’hui avec Marry Me In Bassiani (2019).
Marry Me In Bassiani du collectif (La)Horde : entre folklore géorgien et techno
À la croisée des cultures et influences, Marry Me In Bassiani conjugue ainsi folklore géorgien et techno festive. Pièce pour quinze interprètes, c’est avec l’ensemble Iveroni, et le maître de ballet Kakhaber Mchedlidze, que (La)Horde déploie cette nouvelle pièce. ‘Épouse-moi au Bassiani’ : le titre pourrait laisser présager une sorte de grand opéra électro. Roméo et Juliette, West Side Story… Ce ne sont pas les précédents qui manquent. Une cérémonie, un mariage, la tradition, l’amour, la rivalité, les codes, l’honneur et la danse… De ce grand thème récurrent, Marry Me In Bassiani garde la dimension politique. Une mise en regard. D’une part, lors d’un voyage en Géorgie (La)Horde a rencontré le ballet national géorgien. Occasion d’en apprendre d’avantage sur les liens entre danse et propagande. Quand par exemple, à l’époque communiste, le ballet servait à la fois de liant national mais aussi d’élément distinctif face à la dynamique d’uniformisation soviétique.
La composante politique de l’art : les identités et les danses post-Internet
D’autre part, en mai 2018, après de violentes descentes de police dans deux clubs techno de Tbilissi, dont le Bassiani, des milliers se jeunes se sont réunis pour protester. Une manifestation devant le parlement géorgien, sur de la musique techno, où une partie de la jeunesse aura ainsi affirmé sa volonté de ne pas se laisser terroriser. En ligne de mire ? Officiellement le trafic de drogue et de produits stupéfiants. Mais avec, en trame de fond, une potentielle volonté d’intimider la mouvance LGBTQI. Sigle pour Lesbien, Gay, Bisexuel, Transgenre, interrogatif (ou : Queer), Intersexué. Dans un contexte, en somme, politiquement conservateur et hostile aux (nombreux) modes de vie s’écartant du modèle traditionnel. Vaste déploiement aux allures de free, ou de fête techno, cette manifestation a fait office de déclic pour Marry Me In Bassiani. Sur scène les danseurs virtuoses se frottent à la musique techno de la DJ Sentimental Rave.
La danse (ballet, techno…) comme forme de contestation pacifique par les corps ?
Une musique techno qui réinterprète notamment les sonorités plus traditionnelles de Bar Zalel. Choc des titans ? Réinvention, plutôt, d’un héritage par son ouverture sur d’autres mondes. Duels au sabre, figures virtuoses, unisson, couples d’amoureux, ambiance électrique… Marry Me In Bassiani met en avant un point commun : la danse comme outil politique. Comme le note (La)Horde, que ce soit via le ballet ou la techno, « dans l’histoire de la Géorgie, la danse [est] une forme de contestation pacifique par les corps ». Zone de chevauchements, Marry Me In Bassiani livre ainsi une occasion de plonger dans la complexité des allers-retours entre traditions locales et cultures globalisées.
À retrouver dans le cadre de la Biennale des arts numériques d’ÃŽle-de-France, Némo 2019.