Pour sa troisième exposition personnelle à la galerie Lucile Corty, Emilie Pitoiset présente trois nouvelles pièces.
La première installation, Sans titre (2011), a pour centre une photographie en noir et blanc et de petit format. Un père et son jeune fils y sont représentés dans une situation domestique a priori ordinaire, le premier semblant apprendre au second un geste de la main. Mais, par l’action de la photographie, les deux corps sont figés dans une position instable, complexe, voire improbable: alors que, de dos, le père enlace le corps de son fils, ce dernier semble se relâcher et sur le point de les faire vaciller tous deux en arrière. La photographie rend perceptible la tension du déséquilibre, avant la chute.
Campé au sol, un paravent accompagne cette photographie. Lisse et entièrement blanc, l’objet ne recèle aucune histoire mais arbore de manière littérale une structure géométrique simple, scandée de lignes verticales. Ses pans, en accordéon, sont des copies conformes interchangeables. Dans une vision excessive et un peu effrayante, ils seraient multipliables à l’infini. La question du mimétisme père-enfant, soulevée par la photographie, prend alors sens: l’enfant est-il condamné à devenir une copie du père? Dans quelle mesure peut-il être singulier? Peut-on être à la fois semblable et différent?
La Déliaison du réel (2011) est une installation qui fonctionne sur le même modèle que la précédente: une photographie accrochée au mur dialogue avec un paravent. L’image représente un homme qui, d’une main, se cache un Å“il. En dupliquant l’image-source pour la présenter en pendant, Emilie Pitoiset crée un effet de symétrie assez troublant. Comment distinguer la source de sa réplique, l’original de sa copie? L’idée du double et le motif de l’Å“il sont récurrents dans la pratique d’Émilie Pitoiset, de ses travaux sur la gémellité à ceux sur la stéréoscopie.
Plus troublante encore, la rencontre de ces deux photographies produit une image subliminale, en forme de visage elle aussi. Comme son titre l’indique, cette Å“uvre, «dé-liée du réel», souligne l’ambiguïté de notre rapport au réel et se fait l’écho des recherches du surréaliste André Breton. La source photographique choisie par Emilie Pitoiset ressemble d’ailleurs étrangement à un des célèbres portraits où Breton s’amuse avec un monocle. Toutes deux semblent dire le pouvoir visionnaire de l’Å“il.
La vidéo Mimétisme fait preuve d’une même économie de moyens que les travaux précédents. Muette, tournée en plan fixe et en noir et blanc, elle est accompagnée d’un air de piano digne des débuts du cinéma.
La caméra se fait le témoin de la vie intérieure d’un ascenseur. Le va-et vient des usagers est rythmé par l’ouverture et la fermeture des portes. L’accent est porté sur le conformisme des personnages: tous habillés de la même manière (avec un chapeau et un costard), ils exécutent mécaniquement et de concert une curieuse chorégraphie, qui consiste à lever son chapeau et à se déplacer d’un quart de tour vers la droite à chaque fois que les portes s’ouvrent.
Cette danse insensée a quelque chose de macabre et, tandis que la mélodie du piano fait monter le suspens, une menace sourd. Mais la vidéo finira comme elle a commencé. De très courte durée, elle se répète en boucle sans laisser de répit, ni aux corps qu’elle épuise, ni au spectateur qu’elle abandonne à la frustration.
Hantées par des images du passé, ces trois pièces d’Émilie Pitoiset ont en commun de faire naître et se répéter des énigmes. Le réel est pour l’artiste un terrain qu’il est possible de brouiller par des effets de composition, de géométrie et de répétition formelle. Il perd ainsi toute vérité et devient angoissant.
— Le double manque à celui qui le hante, 2011. Deux tirages ultrachromes barytés (24 x 30 cm), encadrés (53 x 53 x 12 cm)
— A / A’, 2011. Deux paravents en bois de 4 feuilles (40 x150 cm chacune) (détail)
— Sans titre, 2011. Tirage ultrachrome baryté (16 x 21cm) encadré (29 x 24 cm)