Ernesto Sartori
La Fureur de l’atome
Le travail d’Ernesto Sartori n’a rien de purement «surréaliste» «littéraire». Il doit être pris au sérieux théorique de son incongruité même. Armé de tubes de gouache, de peinture glycéro très diluée ou de stylos aquarellés fluo, il travaille principalement sur des surfaces de bois et des installations faites d’éléments modulaires. Avec un authentique souci de rigueur présent aussi bien dans ses dessins et ses peintures, adepte d’une logique non conformiste, on peut rapprocher son univers des pratiques de Kurt Schwitters, Paul Thek, ou Robert Smithson, comme un hommage aux possibles écarts de la nature.
«Tu vois des fragments de paysages peuplés d’êtres humains, d’animaux et de monstres.
Dans ce système de pentes et de formes emboîtées, tu pars à la conquête du sol; tu te dis que ton corps s’habituera à cette nouvelle position, toi qui n’as connu que la perpendiculaire. Tu explores ce monde continu, au déroulement permanent, par vues plongeantes, en surplomb ou en échappée. Plus d’inertie et plus d’habitudes, tu évolues entre montée et descente, fatigue et euphorie.
Tu as renoncé à l’équilibre, au confort. Tu préfères suivre la pente que l’on obtient naturellement lorsqu’on empile des oranges ou des balles de tennis. Les paralléloèdres te permettent de paver l’espace à la perfection. Ton module de départ, les mathématiciens l’appellent le dodécaèdre rhombique, un polyèdre à douze faces composé de losanges réguliers.
Tu cherches l’origine, le postulat de départ. Ces espaces, ces objets et ces situations seraient-ils le produit d’une gravité déviante? Pourtant, les lois de Newton semblent à première vue inchangées: plus tôt, tu as aperçu des plans d’eau horizontaux.
Tu observes, et tu es observé. Les journées ne sont jamais creuses. Tu ne parviens pas à saisir où sont les amis et qui sont les ennemis. Chacun a une mission ou un rôle à jouer : l’homme qui porte une forme sur son dos comme on porte un savoir, le terrible lézard qui rôde, le tas de chair, le cheveu qui s’allonge comme dans la légende japonaise ou encore les sportifs qui servent d’appâts aux zombies.
Tu cherches la fonction de chaque chose. Tu te dis que cet endroit est une cachette si on peut s’y cacher, et que ce plan est une table si on peut y poser un objet.
De grandes lignes en forme de rampes ou de rails courent sur les différentes hauteurs de ce monde. Peut-être sont-elles des outils de construction détournés comme dans les Carceri de ce graveur et architecte italien que tu aimes bien. Peut-être s’agit-il de voir à travers ces éléments un monde en réduction tel que le décrit celui qui imagine deux cents corps dans un cylindre, soumis à des hiérarchies et des lois extrêmement rigoureuses. Déclencher une fureur de l’atome, tu le sais maintenant, c’est une opération semblable à celle qui consiste à créer un pont pour relier deux points.»
critique
La Fureur de l’atome