Qu’ils semblent familiers ou étrangers, qu’ils soient expressifs ou statiques, les visages de Frédéric Malette portent tous le trouble de la distorsion. Le crayon de l’artiste traque en effet les méandres de ces visages, corps, scènes, destins qui s’offrent à lui par le biais, le plus souvent, de la photo. A y regarder de plus près, cette altération n’est pas seulement le fruit de l’imaginaire de l’artiste mais celui du traitement physique réservé au graphite et aux feuilles de papier calque ou canson.
Effacés, gommés, noircis, grattés, déchirés, superposés, etc., sur la forme comme sur le fond, matières et sujets se confrontent à l’énergie, aux gestes à la fois académiques et intuitifs du «dessin en marche» de Frédéric Malette. Car le dessin, pour lui, «commence dans le corps » crée un tempo et donne la cadence.
Descendant d’une famille française installée en Algérie sous Napoléon et d’une mère sur laquelle la « guerre sans nom » et le départ inévitable qui a suivi en 1962 ont laissé de douloureuses traces, Frédéric Malette puise régulièrement dans les archives familiales pour créer.
Dans Les Cris silencieux, il associe le dessin des photos d’actualité des printemps arabes à celui de photos de famille prises en Algérie au siècle dernier et questionne les liens entre héritage colonial et réalité d’aujourd’hui en Afrique du Nord.
C’est également le cas des puissants portraits de la récente série La Fameuse part des anges, réalisés à partir de l’image d’un homme originaire du Ghana où sa famille, paternelle cette fois-ci, a vécu un temps. En transformant ce magnifique visage en apparition fantomatique, l’artiste pose la question de la relation à l’étranger et plus généralement de la relation à l’Autre. « Que se passe-t-il quand je regarde autrui face à face ? »… ou l’expérience fondamentale de l’autre à travers ce haut lieu de l’identité, ce zone «sacrée» de l’humanité qu’est le visage – selon le philosophe Emmanuel Lévinas pour qui l’expérience d’autrui prend la forme du visage.
Cette question fondamentale de l’altérité, plus encore que celle de l’identité dont elle est indissociable, semble sous-jacente à la plupart des préoccupations de Frédéric Malette. Il s’agit là d’une question dont la vive actualité ne saurait par ailleurs nous échapper. C’est ainsi que Frédéric Malette mène d’incessants aller-retours entre passé et pré-sent, entre la «petite» et la Grande Histoire et s’inspire des récits et des mythologies personnelles pour tenter d’en révéler par le crayon leur dimension collective et universelle. «Une mémoire personnelle qui joue, court, flâne, coupe à travers, qui reste là et puis revient sur notre mémoire collective d’où émerge notre Histoire.» dit-il.